Dans
celle-ci, un médecin généraliste officiant à Marseille, Karim Khelfaoui, se dit
«révolté» et pousse un coup de gueule d’un peu plus de deux minutes
«pour alerter contre trois violations du secret médical qu’est en train
d’organiser sciemment le gouvernement».
«La
première, c’est qu’il nous demande de faire remonter tous les cas positifs. Ce
qui existe déjà dans le cas des maladies à déclaration obligatoire. Mais en
plus, il nous demande de recenser tous les proches qui vivent avec vous, avec
leurs coordonnées et leurs adresses pour les faire remonter auprès de
l’assurance maladie, afin qu’ils leur envoient une brigade sanitaire», développe-t-il. «Je suis
médecin, je ne suis pas flic. On me demande contre quelques euros de vous
fliquer. C’est hors de question.»
Deuxième
point : il évoque un projet de loi, en débat au Parlement, instaurant le
recueil des données des patients sans leur «consentement». «C’est-à-dire
que vous n’aurez plus votre mot à dire sur où vont vos données de santé.»
Dernier point : «Ils sont en train de déployer une plateforme
nationale des données de santé, qui s’appelle le F Data Hub. Et qui est propriétaire de ces
données ? Les serveurs de Microsoft […] Si vous trouvez ça normal, moi non»,
affirme-t-il à la fin de cette vidéo virale, avant de demander à ses abonnés de
la partager. Depuis, 28 000 personnes l’ont fait, en comptant uniquement les
chiffres visibles sur sa page.
Dans cette séquence, le médecin, très actif sur les réseaux sociaux depuis
le début de la crise, détaille en réalité plusieurs points prévus par le projet de loi de
prorogation de l’état d’urgence sanitaire, présenté
en Conseil des ministres le 2 mai, et examiné ces jours-ci par l’Assemblée
nationale.
Projet de loi
L’article 6 de ce texte prévoit, en effet, qu’«aux fins de
lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19 et pour la durée
strictement nécessaire à cet objectif ou, au plus tard, pour une durée d’un an
à compter de la publication de la présente loi, des données relatives aux
personnes atteintes par ce virus et aux personnes ayant été en contact avec
elles peuvent être partagées, le cas échéant sans le consentement des personnes
intéressées, dans le cadre d’un système d’information créé par décret en
Conseil d’Etat et mis en œuvre par le ministre chargé de la Santé».
L’objectif affiché par le gouvernement, grâce à cette collecte de
données : repérer puis casser ce qu’on appelle les «chaînes de
contamination».
Ce
dispositif prendra la forme de deux fichiers. Le premier, le Sidep (Service
intégré de dépistage et de prévention), identifiera les personnes atteintes par
le Covid-19. Le second, «Contact Covid», constituera un fichier de l’Assurance
maladie où seront recensés les «cas contacts». Comprendre : les personnes
qui ont pu ou peuvent être en lien avec la personne infectée.
«Le tracing
de niveau 1 sera opéré par les médecins. Le tracing de niveau 2 sera
fait par l’Assurance maladie, le tracing de niveau 3 est fait par les
agences régionales de santé (ARS) pour identifier les zones de forte
circulation virale. La surveillance épidémiologique locale et nationale sera organisée
par Santé publique France et la direction générale de la santé», a depuis détaillé le ministre de la
Santé Olivier Véran.
Le projet de
loi précise aussi que «le service de santé des armées, les communautés
professionnelles territoriales de santé, les établissements de santé, maisons
de santé, centres de santé et médecins prenant en charge les personnes
concernées, ainsi que les laboratoires autorisés à réaliser les examens de
biologie médicale de dépistage sur les personnes concernées» pourront
également avoir accès à ces données.
Secret médical
Cette
collecte de données n’inquiète pas seulement le docteur Karim Khelfaoui sur
Facebook. Dans un communiqué publié ce 6 mai,
l’Académie de médecine rappelle : «Le secret médical est un principe
majeur du droit des personnes, une composante de la dignité humaine et du
respect de la vie privée, un élément fondamental de la relation de confiance
médecin – malade.» Et estime qu’une telle démarche n’est envisageable que «si
elle est proportionnée aux risques encourus. Plusieurs conditions d’ordre
éthique et juridique devront alors être impérativement garanties». Parmi
elles, selon l’Académie de médecine, le malade doit pouvoir s’opposer à la
transmission des informations le concernant. Et ce, «sans que ce choix n’ait
de conséquence sur sa propre prise en charge médicale».
Alors que le
gouvernement envisage de conserver ces données pendant un an maximum,
l’Académie estime que cette durée est trop longue. «Les systèmes
d’information créés devront être hautement protégés et fonctionner pendant une
durée limitée, ne devant en aucun cas excéder le temps nécessaire à la lutte
contre l’épidémie.»
Dans un
communiqué également publié cette semaine,
l’ordre des médecins a, lui aussi, exprimé ses craintes. Il demande à ce que le
projet de loi «explicite que la nature des données que les médecins seront
amenés à transmettre sera strictement limitée aux seules fins de lutter contre
la propagation de l’épidémie de Covid-19, durant la période limitée que prévoit
la loi», et «écarte toute confusion entre cette finalité et la prise en
charge médicale individuelle des personnes concernées, qui reste assumée par
les médecins et l’équipe de soins dans les conditions habituelles».
De son côté,
la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) rendra
prochainement un avis sur ce décret du gouvernement. Devant les députés de la commission
des lois, sa présidente, Marie-Laure Denis, a assuré que la Cnil «veillera
à limiter le nombre d’accès, à prévoir des règles d’habilitations très strictes
[…] pour éviter d’éventuels abus».
Deux euros
Autre point
abordé dans la vidéo du médecin généraliste de Marseille : la prime
attribuée aux médecins qui accepteraient de donner des informations
supplémentaires sur les patients touchés par le Covid, ainsi que les cas
contacts. Là aussi, c’est exact. Dans le cadre du déconfinement, et de la
traçabilité des personnes infectées et de leurs proches, les médecins
percevront une rémunération supplémentaire. En l’occurrence, deux euros pour
chaque cas contact saisi avec des éléments de base. Ou quatre euros pour chaque
cas contact avec saisie de données plus complètes. «Le détail des données à
saisir selon le niveau de rémunération prévu sera précisé dans les prochains
jours», précise le site de l’Assurance maladie
pour les médecins.
Enfin,
dernier point évoqué dans la vidéo de Karim Khelfaoui : le fait que toutes
ces données seront hébergées sur les serveurs du géant américain Microsoft.
C’est encore vrai, mais cela ne signifie pas forcément que la firme américaine
aura la main sur ces données.
«Big Brother médical»
En effet, comme le détaillait à l’époque
Mediapart, une nouvelle plateforme, le «Health Data Hub», qui
centralise les données de santé des Français, a été mise en place en
décembre 2019. Elle a remplacé le Système national des données
de santé (SNDS). Son
but ? «Favoriser l’utilisation et multiplier les
possibilités d’exploitation des données, aussi bien en recherche clinique qu’en
termes de nouveaux usages, notamment ceux liés au développement des méthodes
d’intelligence artificielle.»
Nouveau «big
brother médical», ou façon plus efficace de traiter les données de santé ?
La question a été soulevée lors du
lancement (récent) de la plateforme. D’autant que le choix de l’hébergeur s’est
en effet porté sur Microsoft, alimentant les soupçons d’une mainmise des Gafam
sur ces données personnelles, alors qu’aux Etats-Unis, Google détient déjà les
données médicales de millions d’Américains.
Interrogée à
l’époque, Stéphanie Combes, cheffe de la mission d’administration des données
de santé à la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des
statistiques (Drees) et cheffe de projet Health Data Hub, assurait à
Mediapart : «Cela ne veut pas dire que c’est Microsoft qui
administrera la plateforme […] Il y a différentes briques permettant
d’assurer un maximum de sécurité entre les différentes couches. Les données
seront chiffrées et ce n’est pas Microsoft qui détiendra la clef des
déchiffrements.»
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