quarta-feira, 9 de setembro de 2020

A PANDEMIA FAZ REVIVER O PASSADO

Vous ne savez jamais qui est de 

l’autre côté

(mise à jour :

Mis au service de la distanciation sociale, les “glory holes” font officiellement partie des moyens d’éviter l’infection. «Quelle terrible ironie», proteste l’artiste français Marc Martin qui consacre à ces trous honteux, honnis, un ouvrage en forme d’hommage.

Les glory holes sont les trous noirs de la mémoire queer. Pour beaucoup de militants, il paraît offensant d’en parler, car ces trous sont liés aux lieux d’aisance collectifs, les pissotières (appelées tasses, en argot) qui les virent apparaître, dès le XIXe siècle. Dans un essai intitulé Glory Hole - Le trou noir des tasses (éditions Agua), le photographe et collectionneur Marc Martin reproduit un des tous premiers documents lié à ces bizarreries. Il s’agit d’un rapport de police, daté de février 1862. Le chef du commissariat du quartier des Champs-Élysées évoque des «ouvertures faites dans les cloisons des latrines». L’une de ces ouvertures a été signalée comme un trouble à l’ordre public. Elle met en danger la pudeur. «J’ai immédiatement envoyé mon garçon de bureau et un de mes inspecteurs pour en opérer le bouchement, qui a été fait avec du plâtre et du ciment et ne manquera pas de solidité».

Personne ne «pipait mot» dans les tasses 

Bien qu’il n’en détaille pas l’usage, le commissaire semble parfaitement conscient du caractère coupable de ces pertuis, percés à hauteur d’entre-jambe. Ainsi que Marc Martin l’explique, ils servent à la fois d’oeilleton et de passe-plat : ils permettent «d’observer une personne située de l’autre côté ou d’y insérer son pénis dans le but d’un échange sexuel. […] À l’époque où l’homosexualité était illégale, les toilettes publiques, qui servaient de lieux de rencontres, en étaient largement pourvues». En perçant ces brèches dans les parois de séparation, les inventeurs des glory holes aménageaient des voies d’accès vers l’autre qui peuvent paraître réductrices : elles ne laissaient passer qu’un bout d’anatomie. Mais pour beaucoup d’hommes, ces petits trous étaient salvateurs. Pour ceux qui avaient peur, à l’époque répressive, d’être pris en flagrant délit (à deux dans la même cabine), les glory holes permettaient de jouir, envers et contre la société. Pour ceux qui se cherchaient, timidement, les glory holes offraient la liberté. 

Les trous entrent en résistance

Signe de leur importance : quand les autorités faisaient boucher ces trous, les «pervers» en perçaient de nouveau. Dans son ouvrage, Marc Martin cite d’ailleurs le cas d’une véritable guerre des trous. En 1887, Félix Carlier (ancien chef du service des moeurs à la Préfecture de police) mentionne le cas des pissotières des Halles, devenues lieu de rendez-vous. «Chaque jour, les maçons de la ville bouchaient ces trous ; chaque soir, ces trous étaient percés à nouveau. L’administration prit un parti qu’elle crut héroïque ; elle remplaça les cloisons par des plaques de blindage en fonte. […] Quinze jours plus tard, les plaques de métal avaient été taraudées, les trous existaient à nouveau.» La fermeture de ces WC fut seule capable de mettre fin au «scandale». Mais les fauteurs de trouble ne s’estimèrent pas perdants. Ils allèrent trouer ailleurs. Paris était grand.

Le trou abrite tous les mystères

Dans les années 1980, quand les pissotières furent abolies en France, remplacées par des «sanisettes», les trous leur survécurent. Ils migrèrent dans les backrooms, à l’abri de la pénombre, comme s’il fallait que perdure avec eux un certain goût pour l’incertitude. Steel Panther, un groupe de heavy metal, en a fait le refrain d’une chanson : «Honey, je ne veux pas savoir qui suce de l’autre côté» (Glory Hole, 2014). Ce pourrait être un homme beau ou laid, une blonde ou brune, peut-être même un flic ou un prêtre ? Le trou abrite tous les mystères. Il est le garant du secret. Il favorise les expériences, il encourage l’ambiguïté, il inspire des scénarios qui, autrement, n’auraient pas lieu. Ce qui le rend d’autant plus précieux à l’époque de la transparence. «Contrairement à la croyance populaire», insiste Marc Martin, il n’y a pas que les gays qui profitent de ces trous. Au contraire. Les hommes qui refusent de se définir, ceux qui veulent du plaisir sans avoir à soi-disant «assumer» (assumer quoi d’ailleurs), ceux qui manquent de confiance pour aller dans des clubs de cul, ceux qui veulent jouir dans l’inconnu, trouvent dans le glory hole une porte ouverte aux possibles. 

Une zone “Glory Hole” dans un centre d’art vivant ?

A l’inverse des autorités –qui font des glory holes les outils de la mise à distance–, Marc Martin entend les réhabiliter comme les moteurs du rapprochement. Sans ces trous, les exclus de la société n’auraient pas pu briser l’isolement. «Ils ont permis aux générations d’hommes, qui n’avaient pas de drapeau à dresser, d’ériger haut et fort leur érection en signe d’épanouissement personnel.» Non content de leur dédier un livre, Marc Martin leur consacre d’ailleurs un espace, placé au coeur de sa prochaine exposition –«Les tasses à Bruxelles»–, qui se déroulera au Centre d’art de Bruxelles-LaVallée, du 18 septembre au 3 octobre, dans le cadre du Pride Festival organisé par la RainbowHouse. Cet espace –que Marc nomme avec humour la «zone glory hole»–, prendra la forme d’une machine à remonter le temps : dans ce cube constitué de cabines séparées par des portes et des cloisons trouées, les visiteurs et visiteuses pourront se replonger dans l’ambiance clandestine des anciens lieux de rencontre, lorsque c’étaient les juges (et non pas le virus) qui prohibaient les contacts entre humains.

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