sexta-feira, 29 de janeiro de 2010

UM MUNDO SEM VERGONHA



O ex- primeiro-ministro britânico Tony Blair e Kadhafi, em 29 de Maio de 2007, em visita a Trípoli, por conta do banco JP Morgan

Le business des ex

Blair ou Clinton, les Bush ou Aznar... ils ont quitté le pouvoir avec des carnets d'adresses en or et font fructifier leur capital. Organisations caritatives mais aussi activités de «consultants», conférences royalement payées, voire grands contrats commerciaux... Un mélange des genres parfois à la limite du conflit d'intérêt

Tony Blair «conseiller» de Bernard Arnault. L'inventeur d'un socialisme new-look chez l'empereur du luxe. Mardi 12 janvier, en pleine campagne électorale britannique, la dépêche de Reuters annonçant que l'ex-Premier ministre britannique allait - probablement à la fin de l'année - travailler comme consultant à temps partiel auprès du numéro un mondial du champagne, de la mode et de la bagagerie a jeté un froid. Certes, les liens de Bernard Arnault avec Tony Blair étaient connus. Reçu deux fois à Chequers, la résidence campagnarde des Premiers ministres britanniques, le patron du groupe LVMH a invité à plusieurs reprises l'inventeur du New Labour sur «l'Amadeus», son yacht privé, pour une croisière en Méditerranée. Même les enfants Blair ont eu droit à ses largesses. Quand l'aîné, Euan, fait un stage de deux mois dans une radio du groupe Arnault, tonton Bernard s'occupe de tout : appartement, gardes du corps et voiture avec chauffeur. Mais les admirateurs politiques de celui qui sermonnait la vieille gauche n'auraient pas imaginé qu'il pousse si loin la confusion des genres, offrant aux conservateurs-amis-des-patrons un si bel argument pour contre-attaquer, à cinq mois des élections.
 
120 000 euros pour un discours
 
«Tout ça semble horriblement incestueux. Cette histoire laisse un goût très désagréable dans la bouche», a laissé tomber Norma Lamb, figure de proue des libéraux démocrates, qui appelle à durcir le code de bonne conduite régissant les conditions d'emploi des anciens ministres. On jugera peut-être son indignation morale un tantinet surjouée, et non exempte d'arrière-pensées électorales, mais le fait est là : dans le pays qui a inventé la démocratie parlementaire, la politique peut servir de rampe de lancement à une carrière privée. Au coeur du big business. Dans le monde merveilleux où la notoriété et les relations se troquent contre une rémunération à six chiffres.
http://uniprix.nouvelobs.com/5/NOUVELOBS/RG/1728988746/Middle1/OasDefault/AP_PORTNOCLASS_ATLAS_MBPV_0409/ALL_NO_AP_CHALLENGES_MB_010921281.html/35323962623839363462336533333630?&_RM_EMPTY_
Tony Blair, Bill Clinton, Gerhard Schröder sont passés maîtres dans cette alchimie qui permet de changer le pouvoir en or. On croyait qu'ils avaient fait don de leur personne à leur pays. On s'aperçoit qu'il s'agissait d'un prêt, remboursable avec intérêts. Ce sont des rentiers de la gloire. La retraite silencieuse et austère, c'était bon pour les de Gaulle, Harold Wilson ou Konrad Adenauer. Eux rêvent de millions et d'action. Le crépuscule de l'Histoire, ce sera pour plus tard. En quittant leurs fonctions, ils ont embarqué leur carnet d'adresses et leurs réseaux. Et les font fructifier, sans égard pour les conflits d'intérêt, sans peur de mélanger le caritatif et le lucratif dans des structures opaques et byzantines.
 
Londres, 5 décembre dernier. A la une du «Daily Telegraph», Tony Blair paraît un tantinet crispé. On le serait à moins. La photo le montre coincé entre son interprète et Nizami Piriyev, milliardaire d'Azerbaïdjan - un pays qui n'aime ni les élections démocratiques ni la BBC, interdite de diffusion. Légende de la photo : «Blair financé par un obscur oligarque.» Le tabloïd raconte comment l'ancien Premier ministre a touché l'équivalent de 120 000 euros en échange d'un petit discours pour l'inauguration d'une usine, propriété de ce personnage trouble, en affaires avec la Syrie, l'Iran et l'Afghanistan. Péché véniel ? Coïncidence malheureuse, en tout cas. L'article du «Telegraph» paraît trois semaines seulement après que l'«autre» Tony Blair, le politicien désintéressé, a échoué dans la course à la présidence de l'Union européenne.
http://uniprix.nouvelobs.com/5/NOUVELOBS/RG/666205364/Middle3/OasDefault/AP_CINEOBS_MBPV_0909/ALL_AP_LQA_MPAVE_0208.html/35323962623839363462336533333630?&_RM_EMPTY_

La «gym du cerveau»
 
Mais on chipote. Ces 120 000 euros encaissés pour «couvrir les dépenses» de son déplacement à Bakou ne sont qu'une goutte d'eau. Les spécialistes ont fait leurs comptes : depuis qu'il a quitté Downing Street, en juin 2007, Blair a perçu plus de 16 millions d'euros. Près de la moitié, il est vrai, ont servi à payer les 30 employés de TBA - Tony Blair Associates -, la structure dirigée par son ancien directeur de cabinet, Jonathan Powell - dont le frère, lord Powell, dirige l'antenne LVMH Services Ltd. La holding TBA est une véritable arche de Noé : on y trouve pêle-mêle sa Faith Foundation (Blair s'est converti au catholicisme) et une noria d'entreprises très profitables. Tellement rentables, murmurent les mauvaises langues, que l'ex-leader travailliste n'aurait mené qu'une campagne mollassonne pour la présidence de l'Europe, poste qui l'aurait contraint à respecter les règles de l'Union. Fermer le robinet à millions et révéler aux parlementaires européens la liste des personnalités pour lesquelles il est intervenu depuis qu'il a abandonné officiellement la politique intérieure ? I don't think so ! (traduction libre : ça va pas la tête ?).
 
Tony Blair n'a rien inventé. Il doit énormément à l'Amérique et à Bill Clinton, qui ont transformé radicalement le business des ex. C'est l'ancien président qui a le premier imaginé ce système à trois branches où coexistent, et parfois se mélangent, philanthropie, amitiés politiques et intérêts privés. Clinton lui-même ne partait d'ailleurs pas de zéro : l'Amérique n'est pas pour rien la patrie du capitalisme ! En 1860, pour le discours de Cooper Union qui avait lancé sa candidature, Abraham Lincoln avait royalement reçu 200 dollars (l'équivalent, aujourd'hui, de 3 700 euros). Un siècle plus tard, la machine s'emballe : au début des années 1970, les entreprises réalisent qu'un ancien président peut motiver leurs troupes aussi bien, voire mieux, qu'un ancien quarterback de football. Coca-Cola trouve même un nom à ces speeches de politiciens : la «gym du cerveau».
 
C'est à cette époque que naissent les agences représentant les ex, la plus connue étant aujourd'hui le Washington Speakers Bureau. A New York, l'agence Harry Walker signe Henry Kissinger et Gerald Ford. Concepteur de l'opération Condor, qui avait abouti à l'assassinat de Salvador Allende au Chili, Kissinger se re convertit en homme d'affaires redoutable. Il est l'un des premiers à coordonner discours payés, levées de fonds pour ses amis et lobbying, comme pour l'ouverture du premier Disneyland en Chine Après lui et la parenthèse Jimmy Carter, incorruptible, le pli est pris. En 1989, le retraité Ronald Reagan - qui n'a pas oublié ses talents hollywoodiens - pulvérise le record du speech le mieux payé : 2 millions de dollars pour deux discours de vingt minutes chacun, au Japon. Soit 35 000 euros la minute...
 
Mais revenons à l'ami Tony. Juillet 2007, quelques jours après avoir transmis les clés du 10, Downing Street à Gordon Brown, le rénovateur du travaillisme touche une avance de 7,5 millions d'euros de l'éditeur Random House pour la publication de ses Mémoires. Cent fois le montant annuel de sa misérable retraite de Premier ministre. Dans la foulée, Blair accepte d'intégrer les «conférences» organisées par le Washington Speakers Bureau. Sujets : la globalisation, le réchauffement climatique, le développement en Afrique, l'art de gouverner. Tarif moyen : 190 000 euros pour une intervention de quatre-vingt-dix minutes. Pas trop foulant pour un discours qui bien souvent n'apporte «rien de neuf» et se résume à «un tas de clichés», comme l'écrivait récemment le «Shanghai Times» à propos d'une conférence à Guangdong, payée 260 000 euros. Mais Tony ne se contente pas de causer et de grignoter les petits fours. Il ouvre aussi des portes, introduit au plus haut niveau. Et le nombre des boîtes qui comptent sur lui pour pénétrer de nouveaux marchés donne le tournis. Avant LVMH, qui espère bien tirer parti de ses connexions en Inde, perle du Commonwealth, la banque JP Morgan (en juin 2007) s'est offert ses talents de lobbyiste au prix de 2 millions de livres par an. Suivie en juin 2008 par l'assureur suisse Zurich : 500 000 livres annuelles.
 
C'est un engrenage. A côté de son association caritative Faith Foundation, et parallèlement aux cours donnés à Yale sur la mondialisation et la foi, Blair se lance dans une activité de conseil tous azimuts. Et ce, malgré ses fonctions d'envoyé spécial du Quartet (ONU, Union européenne, Etats-Unis, Russie), l'organe chargé d'une mission de paix au Proche-Orient. Sur ce terrain - où était-il pendant les événements de Gaza ? -, son échec est d'ailleurs à peu près total. De l'hôtel American Colony, à Jérusalem, où il passe dix jours par mois, l'ex- avocat multiplie les missions personnelles et jongle avec les rendez-vous. Tantôt prodiguant bénévolement l'art de la bonne gouvernance (Rwanda, Sierra Leone), tantôt monnayant ses avis pour des gouvernements (Libye) avec lesquels le Foreign Office est en délicatesse.
 
Selon ses amis, une mission «réussie» de TBA en Arabie Saoudite, au Koweït ou à Abou Dhabi doit générer trois types de donations : pour les Palestiniens, pour la Fondation et pour ses activités de conseil..., sans qu'il soit toujours possible de distinguer entre le profitable et l'altruiste. Les limiers du «Financial Times» se sont par exemple penchés sur le cas de Windrush Ventures N° 3 Ltd, une société qui fait partie de la constellation Blair. L'an dernier, Windrush a généré un profit net de près de 400000 euros, recyclé à travers une série de sociétés et permettant in fine de payer le bail du luxueux siège social de TBA sur Grosvenor Square, au coeur du très chic quartier londonien de Mayfair. Windrush ne publie pas ses comptes. La presse britannique s'en est émue. Elle réclame plus de transparence dans ce dédale de sociétés gigognes. Blair a répondu avec un bel aplomb : «Je dirige une petite affaire. Et je l'adore.»
 
Au demeurant, comme on l'a dit, il n'est pas le premier à flirter avec les limites de la décence. Quand il quitte la Maison-Blanche au début de 2001 avec 12 millions de dollars de dette d'avocats (merci Monica), Clinton n'a qu'une hâte : se refaire, en propulsant le discours payé dans la seule division qui compte outre-Atlantique, celle des plus de 100 000 dollars. En huit ans, il va empocher l'équivalent de 36 millions d'euros, certains discours étant rémunérés plus de 360 000 euros. Parmi ses clients, des banques comme Goldman Sachs ou Citigroup, dont ses amis démocrates préféreraient aujourd'hui oublier le nom... Clinton ne chôme pas. En 2006, il prononce 352 discours ! Il est vrai que les quatre cinquièmes de ces causeries sont proposées gratuitement, ou au profit de sa fondation. Mais cela laisse quand même, pour la seule année 2006, près de 7 millions d'euros pour son compte personnel.
 
La SA Clinton est une machine parfaitement huilée, qui scanne des milliers de demandes de discours payés pour ne retenir que les plus respectables. Dans certains cas, le Clinton show a des airs de match au Parc des Princes, avec ses loges d'honneur et ses gradins tout en haut du virage Boulogne. En 2006, lors d'une apparition en Irlande, les fans ayant payé 700 euros ont accès à un cocktail avant le speech. Pour 2 800 euros, ils repartent avec une photo de l'ex-président et un exemplaire dédicacé de son autobiographie. A 10 000 euros, bingo, les entreprises sponsors se retrouvent à la table de Bill !
 
Mais le professionnalisme n'interdit pas les dérapages... En 2007, Clinton doit rompre son partenariat avec l'homme d'affaires Ronald Burkle, dont la réputation controversée risquait de torpiller la carrière politique de Hillary. Il a coupé tous les ponts avec «Ron» en mars dernier, abandonnant une carrière de conseiller de fonds d'investissement qui lui aura tout de même rapporté 8 millions d'euros. Revenu aux discours - en nombre réduit pour ne pas gêner Hillary -, Bill croise parfois le dernier venu sur le circuit, un certain George W Bush. On avait prédit un peu vite que son impopularité réduirait à néant la valeur marchande du sortant. «W» a tout de même donné 32 speeches en 2009, dont une apparition au côté de Bill Clinton.
 
Le Texan, pour l'instant, se contente de discours. Marchera-t-il sur les traces de son père ? Bush Ier a fait une carrière d'orateur plus qu'honorable (il peut encore demander 70 000 euros pour un discours), mais il s'est surtout investi dans le Carlyle Group, première société de private equity (fonds d'investissement) au monde. Carlyle, qui gère plus de 55 milliards d'euros d'actifs, a accueilli dans son conseil Jim Baker, ex-secrétaire d'Etat de Bush, et l'ancien Premier ministre britannique John Major. On ne connaît pas la fortune personnelle de Bush Sr, mais elle se chiffre sûrement en dizaines, voire centaines de millions de dollars. Et Al Gore marche sur ses traces.

L'affaire « North Stream »
 
L'an dernier, le quasi-président a rejoint comme partner une prestigieuse entreprise de capital-risque de la Silicon Valley. Difficile, là encore, d'apprécier son patrimoine. On connaît le montant de l'une de ses prises de participation : il a mis de sa poche 24 millions d'euros dans un groupe de sociétés d'investissement...
 
Dans la classe des ex, Gore est le bon élève : il n'investit que dans des projets spécifiquement écolos (non moins lucratifs pour autant, vu les fantastiques perspectives de développement du green business). Le cancre, à l'opposé, serait l'ex-chancelier allemand Gerhard Schröder, le moins timoré - et le plus contesté de la bande. «Gerhard aime trop l'argent. Il est trop pressé. Il exagère. Ce n'est pas bon pour les sociaux-démocrates allemands», avoue avec un pincement de nez un proche de Frank-Walter Steinmeier, le leader SPD au Bundestag. Chef d'accusation ? Son fauteuil d'ex-chancelier était encore tiède quand il a pris la tête d'une entreprise germano-russe qu'il avait lui-même mise sur orbite trois mois auparavant. Peu importe, au fond, que l'ancien «ami des patrons» soit devenu le conseiller spécial de Ringier, géant de l'édition suisse, puis celui de la banque Rothschild, ou qu'il sacrifie à son tour au rituel des conférences organisées par l'agence Harry Walker. Ce qui choque, c'est son poste de président du comité des actionnaires de la North-European Gas Pipeline Company - «North Stream» pour les initiés -, filiale du géant public Gazprom, le bras séculier de la politique étrangère de la Grande Russie.
 
Seule consolation pour les défenseurs de Schröder : il est tout de même plus classe que Mikhaïl Gorbatchev, un has been dans son pays, contraint d'apparaître dans un spot pour Pizza Hut - «A-t-il apporté la liberté ou le chaos à la Russie ? Mieux, la Pizza Hut !» - ou une pub Vuitton, assis à l'arrière d'une Zil, la voiture de la nomenklatura. Pour un homme qui a liquidé le système soviétique et changé la face du monde...

Jean-Gabriel Fredet, Jean-Baptiste Naudet, Philippe Boulet-Gercourt
Le Nouvel Observateur, Nº 2359 - 21 a 27 Janeiro 2010

1 comentário:

Anónimo disse...

Hey, I am checking this blog using the phone and this appears to be kind of odd. Thought you'd wish to know. This is a great write-up nevertheless, did not mess that up.

- David