Après un premier entretien donné au Nouveau Magazine littéraire au mois d’août dernier (cf. Tous
les écrivains sérieux sont athées), Sollers, au risque, une nouvelle fois, de brouiller les pistes ou, comme le remarquait déjà Roland Barthes dans Sollers écrivain, de brouiller volontairement son image (cf. Barthes : Sollers écrivain), entreprend cette fois, dans le numéro d’octobre de la même revue, de désespérer, sinon Billancourt, du moins le monde catholique ! Comme si l’état de l’Église catholique elle-même, avec ses scandales de pédophilie, avait besoin d’un coup de... grâce ! Regrettant Benoît XVI, Sollers est peu tendre avec le pape François — « François ne me donne pas une impression de grande intelligence » (sic) —, en qui il voit « le dernier pape » comme il l’annonçait déjà au détour d’une phrase dans son dernier roman Centre (p. 64) : « Ces deux derniers papes (les derniers) ont pu mesurer l’hostilité sourde et perverse de la Curie romaine, infectée par l’inlassable Démon. » (je souligne). Prophétie ? En tout cas, le problème aujourd’hui, pour l’Église catholique, c’est bien la question sexuelle sur fond de domination de la Technique. Sollers déclarait déjà lors d’un débat organisé par la Revue des Deux Mondes en 2010 : « Tant que l’Église catholique n’aura pas traité théologiquement (idem) la question de la sexualité, on n’avancera pas d’un pas »/« La représentation qu’a l’Église catholique de la sexualité est d’une connerie gigantesque. Je suis un athée sexuel. Je sais que je n’ai aucune chance d’être entendu. » (cf. Requiem pour le catholicisme ?)
J’ai parlé de Centre. Relisez le chapitre « Cathos ». L’« oscillation » sollersienne y est à son comble. L’ironie aussi. Tout y est (ou presque), tout passe « à la moulinette freudienne ».
« François est le dernier pape, tout ça est terminé. Depuis plus de mille ans, l’Église catholique organise la sexualité : elle doit être pratiquée d’une certaine façon pour favoriser la procréation. Mais aujourd’hui la sexualité est sur le point d’être contrôlée par la technique, c’est ça le grand événement. Les débats sur la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui, qui se fera dans la foulée, sont une confiscation par la technique de la reproduction des corps. Et c’est ingérable pour une Église qui avait posé comme principe une procréation spirituellement assistée. La naissance par la Vierge, la résurrection, l’ascension, l’assomption... Pendant des siècles l’Église a exercé un contrôle des femmes en échange de la promesse de la vie éternelle. Ça ne marche plus à une époque où l’on vit dans l’oubli de la mort. Quand on crame les corps le plus vite possible, parler de résurrection, de transcendance, fait rire tout le monde. Ce qui est tragique d’ailleurs quand on pense à tous les chefs-d’œuvre qu’a produits l’Église catholique : la peinture de la Renaissance, le baroque...
Par ailleurs, je vous renvoie à la prophétie de saint Malachie, attribuée à un primat d’Irlande au XIIe siècle, qui s’est révélée après coup être un apocryphe du XVIe siècle : la fameuse liste des papes qui nous conduit jusqu’à aujourd’hui. François est le dernier pape, ou l’avant-dernier, puisque le fait qu’un jésuite ait réussi à devenir pape était exclu du fonctionnement traditionnel de l’Église [1]. Et c’est d’ailleurs en Irlande que le pape François avait l’air de porter sur ses épaules tous les péchés de l’Église. Il avançait courbé, il n’a qu’un poumon, et c’est un métier de fou, comme il le dit lui-même.
D’ailleurs, Benoit XVI avait compris que tout ça était fini, et c’est pour ça qu’il avait démissionné. Il m’intéressait, il était cultivé ; dans ses homélies, que je lisais avec attention, il citait Dante. Alors que François ne me donne pas une impression de grande intelligence. Quant à ses affaires de pédophilie...
La question est : pourquoi se produisent-elles dans le clergé catholique ? C’est que l’Église est un système pour que les femmes puissent avoir des enfants et que les prêtres, qui sont les fils de ces femmes, n’en aient qu’une : la Vierge Marie. Voilà ce qui ne marche plus. La pédophilie est quelque chose d’atroce, le diable est là, si je puis dire, alors que l’homosexualité de certains prêtres, ça a toujours existé, ce n’est pas grave. Mais, pour l’Église, le problème est le même : c’est la sexualité qui ne peut plus être contrôlée. L’Église, comme les mouvements LGBT, d’ailleurs, propose de se rassembler autour d’une sexualité commune. Alors que la sexualité est une chose parfaitement singulière, intime. Je n’ai jamais rencontré un hétérosexuel comme moi. (Rires) Du coup, les forces les plus réactionnaires de l’Église ressortent l’idée de marier les prêtres. Comme si le fait d’être marié faisait cesser d’être homosexuel ou pédophile. Quelle stupidité ! quelle confusion ! »
Propos recueillis par Jacques Braunstein, Le Nouveau Magazine Littéraire, octobre 2018.
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