sexta-feira, 15 de novembro de 2013

A ESPANHA AMEAÇADA




O grande escritor espanhol Antonio Munõz Molina, em entrevista ao Nouvel Observateur (nº 2556), reflecte sobre as derivas económicas e políticas de Espanha, a propósito da publicação da tradução francesa (Tout ce que l'on croyait solide) do seu ensaio Todo lo que era sólido (2013).


Pourquoi l'Espagne a coulé


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Corruption, régionalisme triomphant, spéculation débridée: dans "Tout ce que l'on croyait solide", Antonio Muñoz Molina observe l'errance politique de son pays. Entretien. 


 Né en Andalousie en 1956, Antonio Muñoz Molina est l'un des plus grands écrivains espagnols. Il a reçu de très nombreux prix dont le prix Prince des Asturies et, en France, le prix Femina étranger pour «Pleine Lune» (1998). Il est l'auteur de nombreux romans dont «Séfarade» (2003) et «Dans la grande nuit des temps» (2012). Il vient de publier au Seuil «Tout ce que l'on croyait solide».

Le Nouvel Observateur Vous écrivez dans votre essai, «Tout ce que l'on croyait solide» (Seuil), qu'en Espagne l'année 2006 fut celle où l'on connut le plus haut niveau de prospérité. La Bourse de Madrid avait alors atteint le niveau le plus élevé de son histoire, les terrains s'étaient valorisés de 500% entre 1997 et 2007 et, selon «The Economist», l'Espagne était avec la Suède l'économie la plus dynamique d'Europe. Ce bel édifice reposait-il sur des sables mouvants?

Antonio Muñoz Molina Oui, et tout le monde semblait d'accord pour s'en réjouir. Le sentiment d'étrangeté que j'ai pu ressentir à l'époque devait beaucoup au fait que je vivais alors entre l'Espagne et les Etats-Unis et que je faisais sans cesse des allers-retours entre Madrid et New York. Lorsque vous résidez dans le pays le plus riche et puissant du monde, et que vous revenez dans votre pays natal pour y constater que certains, notamment les hommes d'affaires, ont un niveau de vie supérieur à celui des Américains, et que le gouvernement dépense des sommes folles pour construire des aéroports et des autoroutes, c'est un vrai choc.
Que produisions-nous au juste ? Que réalisions-nous réellement pour financer tous ces grands projets ? Où étaient les usines ? Nous n'exportions aucun savoir-faire ni technologie, nous ne produisions rien qui puisse être important pour le reste de la planète. Tout ce que nous avions, c'était le tourisme de masse et le secteur du bâtiment. Les experts étaient convaincus que l'économie espagnole allait rattraper et supplanter celles de la France et de l'Allemagne. C'était dément.

Comment expliquez-vous cette hallucination politique collective?

Tous les soi-disant experts étaient unanimement d'accord pour dire que la situation était excellente, et ce jusque très tard dans la crise. Il fallait voir les prédictions du FMI pour les années à venir ou les analyses prévisionnelles des économistes travaillant pour les banques. Il y avait bien quelques voix isolées qui essayaient de tirer le signal d'alarme, mais elles étaient très minoritaires. En un sens, c'est aussi ce qui s'est produit aux Etats-Unis où la bulle spéculative immobilière a fini par éclater: ce n'était pas un phénomène purement espagnol. La différence, c'est qu'en dépit de la bulle spéculative qui s'était créée autour de l'immobilier, les Etats-Unis possédaient une économie puissante. En Espagne, il n'y avait rien hormis une spéculation galopante. Le système politique et les médias se sont rendus complices de ce mensonge. Aujourd'hui, tout le monde se moque de ces aéroports et des autoroutes qui n'ont jamais été inaugurés. Ca paraît absurde aujourd'hui, mais à l'époque personne n'a même songé à se demander si ça avait un sens.

Pour vous, l'une des causes de cette folie vient du «pelotazo», ce système de combines alliant la corruption et le clientélisme politique.

«Pelotazo» veut littéralement dire «taper dans le ballon». Cela revient à s'enrichir rapidement et immédiatement, non pas en inventant une quelconque machine que tout le monde aurait envie d'acheter, mais en magouillant grâce à vos relations dans le monde de la politique. Vous décrochez un contrat pour fournir des matériaux de construction pour le nouveau palais des sports local: vous connaissez les gens qu'il faut, et vous vous trouvez au bon endroit au bon moment. Et là, vous tapez dans le ballon: vous tapez fort et vous vous enrichissez en un clin d'oeil.

Vous écrivez qu'après quarante années de dictature franquiste l'Espagne a fait l'expérience de la démocratie pendant trente-cinq ans. Sans qu'il existe une culture démocratique en Espagne?

Oui, pour diverses raisons. Tout d'abord, parce que les partis et l'élite politique ne rendent pas de comptes à la nation. Ils contrôlent l'administration mais ne sont pas eux-mêmes soumis au contrôle d'une autorité extérieure. Ils ne sont pas astreints à la loi ni à la censure de l'opinion publique et des médias. La plupart du temps, les médias se rendent complices de la corruption ambiante. Et en Espagne l'idéologie - résumée à ce qui permet de se définir comme proche d'un parti - demeure très forte chez beaucoup. Si vous vous revendiquez comme étant de gauche, ce que font les gens de gauche est par définition bénéfique et juste, et c'est exactement la même chose à droite. Il est donc très difficile de parvenir à un consensus national sur les questions essentielles, de même que de critiquer l'action des politiques, surtout s'ils sont du même bord que vous.
C'est dû à un certain manque d'éducation politique: les partis et les hommes n'ont jamais vraiment cherché à créer une culture du débat et du regard critique. Ce qu'ils veulent, c'est que leurs électeurs les suivent aveuglément: vous êtes avec moi, ou contre moi. Il y a actuellement deux grands scandales de corruption en Espagne: l'un concerne la droite, l'autre la gauche.
En Andalousie, par exemple, le gouvernement régional - de gauche - a permis à ses affidés de s'enrichir grâce aux indemnités versées aux chômeurs. C'est une honte. Un fonds avait été créé afin de protéger ceux qui avaient perdu leur emploi: si une entreprise venait à faire faillite, le fonds venait en aide aux salariés licenciés jusqu'à ce qu'ils retrouvent un nouveau travail. Il y a eu des faillites frauduleuses et ceux qui touchaient des indemnités n'étaient pas en réalité ceux qui avaient perdu leur emploi, mais des gens qui devaient leur place au copinage politique.
C'est un scandale gigantesque en Andalousie où le chômage atteint presque les 40% de la population active. Mais il y a aussi en ce moment l'affaire Bárcenas, un autre grand scandale qui touche la droite et le Parti populaire actuellement au pouvoir. Il aurait bénéficié de financements occultes émanant d'investisseurs privés, notamment dans le bâtiment, et les dirigeants auraient reçu des rémunérations secrètes.

Vous dénoncez le développement des nationalismes régionaux en Catalogne, au Pays basque ou en Andalousie comme l'un des principaux problèmes de l'Espagne d'aujourd'hui ?

La Catalogne et le Pays basque sont des entités culturelles et politiques très fortes : chacune possède sa propre langue, et c'est quelque chose qui doit être respecté et protégé. Ce que nous ne sommes pas parvenus à accomplir, c'est de créer l'idée d'une citoyenneté républicaine qui respecterait l'autorité du système. C'est l'essence même de la démocratie: vous vous percevez comme membre d'une communauté de citoyens égaux entre eux.
A la place, en Andalousie comme en Catalogne ou ailleurs, nous avons laissé se développer une forme de sentiment romantique d'appartenance irrationnelle à un peuple. Ce sentiment n'a rien à voir avec le pacte fédéraliste qui lie des citoyens adultes au sein d'une démocratie. Au contraire, il veut vous convaincre d'appartenir à une communauté presque mystique de par votre naissance dans un endroit donné. Le fait d'être basque, catalan ou andalou vous confère une fierté que vous allez constamment revendiquer.
Mon avis est que l'on ne peut bâtir une véritable démocratie sur cette idée de l'enracinement dans la terre. On assiste à un retour de cette très vieille manie espagnole - datant de l'Inquisition - de la pureté du sang, une pureté paranoïaque définie par la négation, non pas seulement des autres - juifs, musulmans, hérétiques mais aussi d'une partie de nous-mêmes, celle que le voisinage avait inévitablement contaminée. Et, à ma grande surprise, on voit cette montée en puissance des identités régionales et de leur pureté intrinsèque supposée. C'est le vieux fantôme de la pureté du sang qui revient nous hanter : vous êtes désormais un pur Basque, un pur Catalan, un pur Andalou.

Vous êtes vous-même andalou et vous racontez que vos amis restés au pays protestent parce que vous vivez à Madrid.
 
Oui, parce que ces cultures régionales ont fait naître un fort sentiment d'intolérance. Pour un Andalou, aller s'installer à Madrid, c'est un peu comme s'expatrier, ça devient presque un acte de trahison. Les Espagnols se ressemblent pourtant tous à bien des égards : on repère un Espagnol de loin. Mais nous possédons un talent incroyable pour nous inventer des différences ou pour exagérer celles qui existent réellement.


Votre livre est un réquisitoire contre les turpitudes politiques et économiques de votre pays. Pourtant, vous paraissez aussi fier des années qui se sont écoulées depuis la mort de Franco.

En 1975, au moment de la mort de Franco, après quarante ans ou presque de dictature, les prédictions concernant l'avenir du pays étaient plutôt sombres. Tout le monde s'attendait à ce que les Espagnols retombent dans leurs vieux travers et sombrent à nouveau dans la guerre civile.
Nous avons réussi à créer une vie démocratique qui nous a donné la plus longue période de paix de notre histoire: ce n'est pas une mince performance. Nous avons mis sur pied un système de santé national que l'actuel gouvernement conservateur tente de démanteler en le privatisant. Notre système de santé est remarquablement efficace, c'est le meilleur du monde pour les greffes d'organes. La peine de mort a été abolie en 1978 en Espagne, plus tôt qu'en France ou au Royaume-Uni. Nous avons également réussi à passer d'une société profondément inégalitaire à une société beaucoup moins clivée, notamment en matière d'égalité entre hommes et femmes. En Espagne, le mariage gay a été accepté très naturellement en 2006 par la majorité de la population. Nous avons vaincu le terrorisme en démantelant une organisation terroriste particulièrement féroce, et nous y sommes arrivés sans rétablir la peine de mort ni voter de lois d'exception comme aux Etats-Unis.
Notre problème est qu'en Espagne aucune pédagogie de la démocratie n'a été véritablement pratiquée. Nous avons échoué sur certains points essentiels, particulièrement en ce qui concerne la création d'une administration professionnelle et indépendante. Nous n'avons pas su mettre en place des structures capables de contrôler l'action politique de manière efficace, nous n'avons pas su créer de contre-pouvoirs. Notre système est une farce parce que nous n'avons pas su instiller un vrai sens critique à notre opinion publique. C'est là notre principal échec.

C'est pour cela que votre livre est intitulé «Tout ce que l'on croyait solide». Des édifices politiques à l'infrastructure économique, tout peut disparaître un jour..

Ce n'est pas un problème purement espagnol, ça existe ailleurs en Europe. Mais en écrivant ce livre je voulais faire prendre conscience de l'importance de toutes ces choses que nous tenons pour acquises et que nous pouvons pourtant perdre. Je suis né en 1956, et je me souviens de mon premier voyage à l'étranger : il me fallait un passeport et une autorisation spéciale de la police parce que je n'avais pas encore l'âge de faire mon service militaire. Arrivé à la frontière française, je me souviens du moment où je l'ai traversée et où j'ai montré mon passeport au gendarme qui me dévisageait avec méfiance.
Ce que les Européens ont accompli en faisant disparaître les frontières est si important que nous oublions à quel point il a été difficile d'en arriver là. C'est une chose dont je suis peut-être plus conscient parce que j'ai vécu une partie de ma vie aux Etats-Unis. Beaucoup de ces choses que nous autres Européens trouvons normales et considérons comme acquises sont inenvisageables en Amérique: la couverture médicale pour tous, par exemple, ou un système éducatif national. Ce sont des réussites majeures de la construction européenne, et nous n'y faisons plus attention parce qu'elles font partie de nos vies quotidiennes. Nous avons vu la civilisation européenne s'effondrer à deux reprises au cours du XXe siècle. Construire est un processus très difficile, détruire est en revanche très simple. La crise a montré que ce que nous possédons est bien plus singulier et plus fragile que nous le supposions.

Quels sont les trois livres que vous emporteriez sur une île déserte?

«L'Education sentimentale» et la «Correspondance» de Flaubert est un choix évident. Seulement trois ? Je n'y arriverai jamais. Si je ne dois en garder que trois, j'éliminerai alors peut-être Flaubert. Et prendrai Proust, Montaigne et Cervantès.

Propos recueillis par François Armanet et Gilles Anquetil


1 comentário:

Anónimo disse...

Não só a Espanha mas a Europa e o Mundo. Estamos todos ameaçados. Enão se vislumbra saída.