Jean Daniel, no "Nouvel Observateur", sobre a Tunisia
TUNISIE. Des habits neufs pour l’islamisme
Publié le 31-10-11
En propulsant Ennahda à la tête de son Assemblée constituante, le pays procède à sa contre-révolution, et exprime une fidélité à l'islam renforcée. Par Jean Daniel.
Des partisans d'Ennahda fêtent la victoire de leur parti, le 25 octobre à Tunis (AFP/ FETHI BELAID)
Tous ceux qui ont voulu croire que la révolution tunisienne se libérerait des impératifs religieux se sont trompés. Mais tous ceux qui ont eu besoin de croire que les islamistes tunisiens ne pouvaient pas "se moderniser" se trompés aussi. Reste à savoir si la modernisation ressemble en tous points à la démocratie.
Nous avons donc affaire en Tunisie à une contre-révolution. Ce n’est pas une revanche des prédécesseurs et ce n’est donc pas une restauration. Mais c’est le coup d’arrêt donné légalement par le peuple lui-même à la révolution qu’une partie de sa jeunesse s’était inventée et qui rayonnait comme un printemps dans le monde arabe.
On a cru que dans l’univers arabo-musulman, la révolte tunisienne introduisait la primauté de la liberté sur l’identité, et celle des principes universels sur la tradition ethnico religieuse. Il n’en est rien.
Sans doute la majorité accepte-t-elle une reformulation moderniste de l’islam qui implique le respect du statut de la femme et de quelques autres acquis démocratiques. Mais la fidélité à l’islam est au contraire renforcée, soulignée et célébrée. Le lyrisme des théoriciens franco-tunisiens l’a trop vite emporté sur le sentiment profond des populations.
Célébration du "modèle tunisien"
Les Tunisiens nous rappellent qu’une révolte même victorieuse contre le tyran peut très bien s’accommoder de la foi religieuse et même s’appuyer sur elle. Il faut compter aussi avec tous ceux que le caractère intempestif de l’émergence révolutionnaire avait inquiétés.
Les Frères musulmans, en Egypte, se sont félicités de ce que leurs frères tunisiens aient fait avancer leur propre cause. Les Libyens ont confirmé successivement le caractère théocratique de leur futur gouvernement et le fait qu’ils voulaient se présenter comme des musulmans "modérés" - sans que l’on puisse encore savoir sur quoi porte cette modération, surtout après le meurtre de Kadhafi.
Enfin, en Algérie et au Maroc, où l’on était agacé de voir célébrer à tout moment le "modèle" tunisien, la mauvaise conscience a disparu et les hommes de pouvoir se sont sentis confortés. En résumé, la crainte d’une démocratie à l’occidentale qui permettrait une indépendance totale à l’égard de la religion est dissipée. La mystique de la fidélité aux traditions l’a emporté sur le romantisme du triomphe de la liberté.
Le modèle le plus démocratique du monde arabe
Reste à savoir en quoi consiste vraiment cette modernisation tunisienne de l’islamisme que Rachid Ghannouchi nous annonce et qu’il commencé à mettre en pratique avec la formation d’un gouvernement d’Union nationale. S’il est sincère, Rachid Ghannouchi revient de loin.
Jadis disciple de Nasser, Ghannouchi n’a jamais alors dissimulé sa sympathie active pour la doctrine de Hassan el-Banna, le fondateur égyptien des Frères musulmans. Lorsqu’il a fondé son mouvement islamique en 1981, c’est-à-dire l’année où Anouar el-Sadate a été assassiné, il savait bien que les islamistes n’étaient pas des démocrates, même si on lui prête aujourd’hui d’avoir manifesté un désaveu de la violence à un moment où les intégristes de tous les pays arabes se solidarisaient avec les différents mouvements terroristes. Mais c’est un fait que Rachid Ghannouchi ne cesse de louer le régime turc et sa façon de concilier l’appartenance à l’islam et la défense de toutes les libertés. Il entend, dit-il créer le modèle le plus démocratique du monde arabe.
Dérapage
Il y a cependant beaucoup de ratés dans le nouveau personnage que veut sculpter le leader de l’islamisme tunisien. Deux jours avant le commencement de la consultation électorale, M. Ghannouchi s’est laissé aller à des menaces en fixant lui-même le nombre des électeurs au-dessous duquel il n’hésiterait pas à lancer ses troupes dans la rue. La riposte du Premier ministre Béji Caïd Essebsi a été exemplaire. On ne dira d’ailleurs jamais assez à quel point cet homme aura servi son pays dans des circonstances délicates sinon dramatiques.
Le second dérapage de Rachid Ghannouchi, a eu lieu mercredi dernier lorsqu’il a regretté la façon dont les Tunisiens mélangeaient le français et l’arabe, compromettant ainsi la sainte langue du prophète. Il faut rappeler ici que, contrairement au fondateur de la Tunisie moderne Habib Bourguiba, la seconde langue que pratique plus volontiers Rachid Ghannouchi n’est pas le français mais l’anglais. Il fait partie de cette génération d’islamistes réfugiés à Londres, ville que l’on appelait alors le "Londoustan". Cette défense de la langue arabe, qui est surtout un procès de l’usage du français, a eu lieu dans de très nombreux cercles islamistes, notamment au Maroc. Cela n’empêche nullement des milliers de jeunes maghrébins qui désirent venir en France de pratiquer notre langue.
"Renaissance"
Je ne suis nullement partisan d’un doute systématique sur la sincérité des responsables d’Ennahda, ni sur leur volonté de moderniser l’islam. Mais il faut une fois pour toute que les choses soient simples. La modernité, s’il faut employer ce mot pour éviter le sulfureux terme de "laïcité", consiste à séparer le pouvoir de la foi et l’Etat de la religion. C’est simple, c’est clair et les implications sont évidentes. Si tel est le projet de Rachid Ghannouchi , alors pourquoi continuer à se réclamer de l’islamisme et non de l islam ? Après tout, Ennahda veut dire "renaissance", et peut très bien se passer - si on le décide - de toutes connotations religieuses.
Il ne s’agit pas seulement pour Rachid Ghannouchi et les siens de rassurer les opposants, les touristes et les investisseurs devant l’immensité des problèmes économiques et financiers qui se posent déjà à ce petit pays. Il s’agit aussi, et c’est essentiel, de freiner le zèle et la subversion des extrémistes religieux qui vont progresser comme toujours lorsqu’ils estiment que leurs idées sont au pouvoir et qu’ils ont décidé de la victoire. Alors, on découvrira que les vrais islamistes sont ceux qui s’opposent à la modernisation démocratique de l’islam.
Jean Daniel - le Nouvel Observateur
Nous avons donc affaire en Tunisie à une contre-révolution. Ce n’est pas une revanche des prédécesseurs et ce n’est donc pas une restauration. Mais c’est le coup d’arrêt donné légalement par le peuple lui-même à la révolution qu’une partie de sa jeunesse s’était inventée et qui rayonnait comme un printemps dans le monde arabe.
On a cru que dans l’univers arabo-musulman, la révolte tunisienne introduisait la primauté de la liberté sur l’identité, et celle des principes universels sur la tradition ethnico religieuse. Il n’en est rien.
Sans doute la majorité accepte-t-elle une reformulation moderniste de l’islam qui implique le respect du statut de la femme et de quelques autres acquis démocratiques. Mais la fidélité à l’islam est au contraire renforcée, soulignée et célébrée. Le lyrisme des théoriciens franco-tunisiens l’a trop vite emporté sur le sentiment profond des populations.
Célébration du "modèle tunisien"
Les Tunisiens nous rappellent qu’une révolte même victorieuse contre le tyran peut très bien s’accommoder de la foi religieuse et même s’appuyer sur elle. Il faut compter aussi avec tous ceux que le caractère intempestif de l’émergence révolutionnaire avait inquiétés.
Les Frères musulmans, en Egypte, se sont félicités de ce que leurs frères tunisiens aient fait avancer leur propre cause. Les Libyens ont confirmé successivement le caractère théocratique de leur futur gouvernement et le fait qu’ils voulaient se présenter comme des musulmans "modérés" - sans que l’on puisse encore savoir sur quoi porte cette modération, surtout après le meurtre de Kadhafi.
Enfin, en Algérie et au Maroc, où l’on était agacé de voir célébrer à tout moment le "modèle" tunisien, la mauvaise conscience a disparu et les hommes de pouvoir se sont sentis confortés. En résumé, la crainte d’une démocratie à l’occidentale qui permettrait une indépendance totale à l’égard de la religion est dissipée. La mystique de la fidélité aux traditions l’a emporté sur le romantisme du triomphe de la liberté.
Le modèle le plus démocratique du monde arabe
Reste à savoir en quoi consiste vraiment cette modernisation tunisienne de l’islamisme que Rachid Ghannouchi nous annonce et qu’il commencé à mettre en pratique avec la formation d’un gouvernement d’Union nationale. S’il est sincère, Rachid Ghannouchi revient de loin.
Jadis disciple de Nasser, Ghannouchi n’a jamais alors dissimulé sa sympathie active pour la doctrine de Hassan el-Banna, le fondateur égyptien des Frères musulmans. Lorsqu’il a fondé son mouvement islamique en 1981, c’est-à-dire l’année où Anouar el-Sadate a été assassiné, il savait bien que les islamistes n’étaient pas des démocrates, même si on lui prête aujourd’hui d’avoir manifesté un désaveu de la violence à un moment où les intégristes de tous les pays arabes se solidarisaient avec les différents mouvements terroristes. Mais c’est un fait que Rachid Ghannouchi ne cesse de louer le régime turc et sa façon de concilier l’appartenance à l’islam et la défense de toutes les libertés. Il entend, dit-il créer le modèle le plus démocratique du monde arabe.
Dérapage
Il y a cependant beaucoup de ratés dans le nouveau personnage que veut sculpter le leader de l’islamisme tunisien. Deux jours avant le commencement de la consultation électorale, M. Ghannouchi s’est laissé aller à des menaces en fixant lui-même le nombre des électeurs au-dessous duquel il n’hésiterait pas à lancer ses troupes dans la rue. La riposte du Premier ministre Béji Caïd Essebsi a été exemplaire. On ne dira d’ailleurs jamais assez à quel point cet homme aura servi son pays dans des circonstances délicates sinon dramatiques.
Le second dérapage de Rachid Ghannouchi, a eu lieu mercredi dernier lorsqu’il a regretté la façon dont les Tunisiens mélangeaient le français et l’arabe, compromettant ainsi la sainte langue du prophète. Il faut rappeler ici que, contrairement au fondateur de la Tunisie moderne Habib Bourguiba, la seconde langue que pratique plus volontiers Rachid Ghannouchi n’est pas le français mais l’anglais. Il fait partie de cette génération d’islamistes réfugiés à Londres, ville que l’on appelait alors le "Londoustan". Cette défense de la langue arabe, qui est surtout un procès de l’usage du français, a eu lieu dans de très nombreux cercles islamistes, notamment au Maroc. Cela n’empêche nullement des milliers de jeunes maghrébins qui désirent venir en France de pratiquer notre langue.
"Renaissance"
Je ne suis nullement partisan d’un doute systématique sur la sincérité des responsables d’Ennahda, ni sur leur volonté de moderniser l’islam. Mais il faut une fois pour toute que les choses soient simples. La modernité, s’il faut employer ce mot pour éviter le sulfureux terme de "laïcité", consiste à séparer le pouvoir de la foi et l’Etat de la religion. C’est simple, c’est clair et les implications sont évidentes. Si tel est le projet de Rachid Ghannouchi , alors pourquoi continuer à se réclamer de l’islamisme et non de l islam ? Après tout, Ennahda veut dire "renaissance", et peut très bien se passer - si on le décide - de toutes connotations religieuses.
Il ne s’agit pas seulement pour Rachid Ghannouchi et les siens de rassurer les opposants, les touristes et les investisseurs devant l’immensité des problèmes économiques et financiers qui se posent déjà à ce petit pays. Il s’agit aussi, et c’est essentiel, de freiner le zèle et la subversion des extrémistes religieux qui vont progresser comme toujours lorsqu’ils estiment que leurs idées sont au pouvoir et qu’ils ont décidé de la victoire. Alors, on découvrira que les vrais islamistes sont ceux qui s’opposent à la modernisation démocratique de l’islam.
Jean Daniel - le Nouvel Observateur
1 comentário:
A situação na Tunísia ainda vai dar muito que falar; aguardemos os próximos capítulos.
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