segunda-feira, 17 de outubro de 2022

O "CORÃO" DE BEN ALI


Mão amiga fez chegar ao meu conhecimento esta história deliciosa da impressão de uma edição do "Corão" na Tunísia, no tempo de Ben Ali.

LA SAGA DU CORAN DE LA REPUBLIQUE
 
Ou les péripéties d’un livre saint sous Ben Ali
 
Nous sommes à la fin des années 90. La Tunisie se porte relativement bien en termes économiques. Comme dans d’autres pays musulmans, le président Ben Ali veut avoir « son » Coran officiel.
Par ailleurs, MBS (Mohamed Ben Smail, patron des éditions Cérès) a depuis des années le projet de publier un Coran « tunisien » de qualité, et qui se démarque de ce qui se fait ailleurs, les maquettes et les essais successifs remplissent encore nos tiroirs, notamment cette impossible réimpression du fameux « coran Bleu » de Kairouan!
 
Ces tentatives se concrétisent finalement avec l’idée de refaire calligraphier entièrement les 600+ pages du Saint Mishaf, par le meilleur calligraphe tunisien, Msalmi Mizouni. Et d’en faire une impression de grande qualité. Ce sera le « projet Coran », il durera près de 5 ans.
 
L’organisation mise en place est rigoureuse, le projet est coûteux, c’est Cérès qui en avance les frais, et « la Présidence » ne réglera qu’à la livraison… Si tout se passe parfaitement bien. Une vraie prise de risque et le début d’une des périodes les plus rocambolesques de ma vie d’éditeur.
 
L’erreur n’est pas permise, les « collègues » souhaitent nous voir échouer, les courtisans estiment que MBS se rapproche trop du pouvoir et s’imaginent -à tort- qu’il pourrait briguer un « poste » qu’ils convoitent, etc. 
 
On le verra, l’histoire sera compliquée et révélatrice de la vie politique de cette époque en Tunisie.
L’erreur n’est donc pas permise. Après le choix de la maquette, format, type de calligraphie (ca sera du « Naskh simple » plus lisible), éléments de mise en page, etc., Mizouni se met au travail. Les rendez-vous hebdomadaires se succèdent ; il s’agit de vérifier les quelques pages calligraphiées de la semaine, qui sont soumises à deux équipes de relecteurs « professionnels », des cheikhs qui connaissent chaque virgule du texte sacré. Elles travailleront séparément et leurs observations croisées donneront lieu à des corrections exécutées par le calligraphe. Quand tout le monde se met d’accord, les épreuves sont signées par les responsables et on passe à la semaine suivante. Le Mufti de la République apposera ensuite sa signature avant impression. 
 
La première équipe est dirigée par le Cheikh Battikh, un homme jeune, intelligent, compétent et efficace, avec qui je me suis très bien entendu. La deuxième par une sommité du domaine, le fameux Cheikh Dellaa, imposé par Ben Ali. Bien plus âgé, ami de mon grand-père… incontournable. Il posera plus de problèmes qu’il n’en résoudra.
 
Les Cheikhs Battikh et Dellaa (melon et pastèque), cela ne s’invente pas ; l’histoire promettait d’être fraiche et savoureuse ! 
 
Les experts ont fini leur minutieux travail, nous sommes couverts. Du moins le pensions-nous !
L’impression est confiée à un imprimeur autrichien hyper pointu, spécialisé dans l’impression des anciens manuscrits, son atelier est à température et taux d’humidité constants, il travaille pour les grands musées du monde entier. Ses tirages sont généralement limités, et cette commande importante nous permet d’obtenir un devis défiant toute concurrence.
 
La reliure est confiée à un maître relieur, un artisan incroyable, un géant aux doigts couverts de petites cicatrices dues à des décennies de reliure manuelle, portant blouse de cuir et barbe blanche, il semblait sorti tout droit des ateliers de Gutemberg.
 
« SIEDTOU »
 
Les choses se passent bien. Durant toute cette aventure, je ne rencontrerai jamais Ben Ali, deux hauts cadres de la présidence assurent le relai. Des personnes avenantes et agréables, qui se reconnaîtront, et qui me faisaient servir un excellent café turc dans de jolies tasses estampillées aux couleurs de la présidence. C’est par eux que se fera toute la communication avec celui qu’ils ne nommeront jamais par son nom ni par son titre mais par le qualificatif monarchique de « Siedtou » (son excellence). Les rendez-vous se feront dans une annexe du Palais, la villa Baizeau, construite en 1928 par l’illustre architecte français Le Corbusier. Le décor est posé.
 
LE RABIN ET LE CORAN
 
Nous recevons les premières livraisons, 2 semi-remorques que je vais retirer au port en compagnie de notre transitaire, mon ami le regretté Max Zana. Max a vérifié lui-même que les verrous des containers sont intacts, nous assistons au chargement et prenons la route pour accompagner le transporteur vers les dépôts de la Présidence.
 
Max est dans ma voiture, nous suivons les camions et leur lourde cargaison. A un moment, au milieu d’une montée un peu sévère, le tracteur peine, son vieux moteur gémit, les vapeurs de gasoil nos prennent à la gorge. Le monstre ralentit, stoppe et semble sur le point de reculer ; nous avons un moment de panique. Max, me prend le bras, et sans perdre son calme me dit « Karim, je vous en prie, reculez, si je meurs écrasé par une montagne de Corans, mon rabbin ne comprendra pas ! ».
Paix à ton âme Max !
 
Le livre est superbe, le client est ravi, et les problèmes commencent !
 
LA VENGEANCE DES COURTISANS
 
Début 2000, MBS est dans la tourmente, 8 contrôles fiscaux simultanés et très politiques, mettent Cérès à genoux ; pendant deux ans les contrôleurs s’installeront dans nos bureaux, tous les jours. L’entreprise de sape de Abdelwahab Abdallah, « conseiller culturel » de Ben Ali aboutit, mais ça c’est une toute autre histoire. Ce qu’il faut retenir, c’est que nous sommes désormais dans une situation particulière : à la fois persona non grata et fournisseurs exclusifs d’un produit apprécié par le Président.
MBS est dans le collimateur, la chasse est ouverte. Notre téléphone ne sonne plus et les amis se font rares. Le « Coran de Cérès » est scruté, examiné sous toutes ses coutures, à la recherche du défaut, de l’angle d’attaque.
 
LE « NOUN » SATANIQUE ! 
 
Un matin, un appel urgent de mes vis-à-vis au palais, « Si Karim tnajjimchi tjina, tawwa ? » (Si Karim, pouvez-vous venir ? Tout de suite svp ! ). Visages des mauvais jours, on me dit que le livre a été lu très attentivement (cela ne m’étonnait pas), et qu’une omission grave a été détectée. Il se trouve qu’une lettre a sauté. Un « noun », qui a disparu, au milieu d’une phrase ! Vérification faite, il était là dans toutes les épreuves, mais a disparu sur la version imprimée. A ce jour je n’ai pas l’explication de ce mystère. Mais mon vis-à-vis n’en a cure, « choufenla hall !» (Trouvez une solution !) me dit-il en me congédiant, les dents serrées, d'un ton qui exprimait à la fois de la sympathie et son impuissance…
Pas de café turc ce jour-là.
 
« choufenla hall » ! Me voilà avec une lourde facture impayée, d’un client que je ne peux pas rencontrer, et qui ne nous porte pas dans son cœur ! Et des milliers d’exemplaires de Coran pour lesquels il faut « trouver une solution ». 
 
Brainstorming d’urgence à Cérès, graphistes, maquettistes, imprimeurs, calligraphe… Tout le monde est mis à contribution. Nous avons la solution ! Abracadabrante et pourtant salvatrice. Nous sommes en plein ramadan. Tous les soirs, nous nous rendons dans les stocks de la présidence, une équipe de 5 personnes aligne une dizaine de Corans, qui défilent sur des tables placées bout-à-bout, ouverts à la bonne page, vers Mizouni, installé à l’extrémité de cette chaîne, les livres sont déposés devant lui. Armé de son roseau taillé, le calligraphe redessine le « Noun » disparu, et efface la malédiction. A la main, livre après livre, soir après soir. Sur des milliers d’exemplaires !
 
J’ai présenté le résultat dès le premier exemplaire, le miracle était accompli. « Comment avez-vous fait ? », « nous avons fait notre travail ».
 
Des relecteurs "attentifs et bienveillants" essaieront bien de trouver d’autres erreurs, en vain.
IMPRIMEZ-LE EN TUNISIE !
 
Gros succès, tout le monde veut avoir le Coran de la République.
 
Le Livre sera réimprimé une ou deux fois, en pleine offensive fiscale et politique contre MBS et ses équipes, situation désagréable, paradoxale : Il fallait se débarrasser de Cérès et garder le Coran. Un « conseiller de l’ombre » trouvera la bonne idée : Imprimer en Tunisie. Euréka ! c’était la solution, évidente. 
 
Re-convocation d’urgence : « Si Karim, les fichiers appartiennent à la présidence, pourriez-vous svp nous les remettre ? ». Sur le moment je n’ai pas compris pourquoi. J’ai bien évidemment livré les CD. Ce n’est que plus tard que mon frère, qui était imprimeur m’a demandé « est-ce normal que la présidence me demande des essais d’impression de « notre » Coran » ? Des copies de nos fichiers avaient donc été envoyées -sans nous en informer- à tous les imprimeurs du pays pour faire des essais. Mais les résultats n’étaient pas concluants. C’était prévisible… La conception graphique du livre comportait des difficultés techniques telles qu’aucun imprimeur en Tunisie ne pouvait relever le défi. Aucun n’avait la maîtrise de notre fournisseur autrichien.
 
C’est donc tranquillement et en connaissance de cause que j’ai attendu l’appel de mes amis de Carthage, revenus de leurs divers essais, « Si Karim, tnejjem tjina ? ».
 
SACRILEGE & POUBELLES
 
Je reviens d’Autriche, les « bons à tirer » sont signés, tout semble se dérouler comme prévu, la livraison du nouveau tirage ne devrait pas tarder, quand l’Ambassade de Tunisie à Vienne m’appelle en urgence : « Vous avez un Coran en impression ici ? » - Oui, « Nous avons l’association des musulmans d’Autriche qui veut porter plainte pour atteinte au saint Coran, trouvez une solution » !
 
Explication : pour régler sa machine l’imprimeur doit jeter les quelques 500 premières pages imprimées, les feuilles de passe. Ces feuilles se sont retrouvées dans la poubelle et un employé musulman de la municipalité a été se plaindre auprès des dirigeants de sa communauté. 
 
Je rassure l’Ambassadeur et donne des instructions aussi claires qu’inédites à l’imprimeur, qui est confus et me dit qu’il a imprimé des bibles par centaines sans jamais avoir de problèmes. Instructions simples, zéro risque : « pas d’ouvrier musulman sur ce travail, et les feuilles de passe sont brûlées et non jetées à la poubelle ! ». Les choses se sont calmées.
 
ALIF, LE NOM DU SEIGNEUR & LA SIESTE DU MUFTI DE LA REPUBLIQUE
 
Nous venons de livrer la réimpression. 
 
Téléphone, « Si Karim tnajjimchi tjina, tawwa ? ». Rebelote, retour à Carthage, de quoi s’agit-il cette fois ?
 
Têtes d’enterrement… « Vous avez commis une grave erreur, une faute d’orthographe dans le nom de Siedtou » (Le nom de Ben Ali apparaît dans les premières pages, comme étant le commanditaire du livre).
 
« Le nom exact est « Ben Ali » et non « Ibn Ali » comme vous l’avez transcrit, le « Alif » est en trop ! ». « Choufelna hall ! » (Réglez le problème !).
 
Une erreur dans le nom du président ! Une erreur dans le texte coranique passe encore, mais là comment s’en sortir ?
 
Je me souviens alors que le Mufti de la République, qui a signé toutes les pages du livre, est également professeur d’arabe, je me précipite donc chez lui. On est en été, je le réveille de sa sieste, il me dit « Écoutez, la langue a ses règles, en arabe littéraire c’est ainsi que s’écrit son nom, si vous voulez qu’on soit la risée du monde arabe, écrivez « Ben ».
 
Soulagé je lui propose d’appeler de suite Carthage, c’est quand même la plus haute autorité religieuse du pays ! « Non mon fils, c’est ton problème, pas le mien, merci et au revoir ». Retour à la sieste.
Je remonte donc à la sublime colline plaider l’orthographe arabe et exposer les arguments du Mufti. « Merci Si Karim, on vous rappellera ».
 
Cela n’a pas duré une heure : « Si Karim Siedtou vous remercie, ainsi que « samahatou el Mufti », mais il vous informe qu’il écrit son nom comme il le veut » !
 
« Choufelna hall ! »
 
Branle-bas de combat. Réunion d’urgence à Cérès, cette fois le problème est plus compliqué que le « noun », il s’agit d’une lettre en trop et non en moins. La solution sera pourtant de la même nature que pour le « noun », sauf qu’en bout de chaîne, Msalmi Mizouni a travaillé… avec une loupe et un scalpel de chirurgien ! De sa main experte, sur chaque page posée devant lui, il a gratté le « alif » superflu, mécaniquement, systématiquement, sans une bavure, sans toucher au fond beige de la page, soir après soir et sur des milliers d’exemplaires, un geste parfait et bref, mécaniquement répété sur une barre d’encre de près d’un millimètre de largeur. Le résultat était bluffant.
 
Retour à Carthage.
 
-Incroyable, comment avez-vous fait ?
 
-Désolés ce sont les secrets du métier, nous avons fait notre travail ! 
 
LA BARAKA
 
Dernier voyage vers Graz, Autriche pour l’impression d’une version « ajzaa » (par chapitres). Je suis dans l’avion avec la maquette du Coran. D’un coup, fumée dans l’avion, bruits dans la carlingue, les masques à oxygènes tombent, l’équipage est blême, l’avion pique du nez… De longues minutes passent, assez longues pour réaliser qu’il y a de fortes chances pour que ce soit la fin. On finira par se poser en catastrophe à Rome, indemnes.
 
Des mois plus tard je racontais à un ami très pieux que cette aventure m’a prouvé que je n’étais absolument pas religieux : à quelques minutes d’une mort certaine, je n’ai pas pensé à me saisir du Coran qui était là, je n’ai pas psalmodié quelques versets pour implorer clémence et bénédiction… J’ai juste mis dans ma poche mon téléphone, au cas où !
 
Sa réponse fut celle d’un vrai croyant : « Ton avion allait s’écraser, et tu en es sorti indemne ! A qui penses-tu devoir ce miracle ? Le Coran qui t’accompagnait vous a tous sauvé, c’est de lui qu’émanait votre Baraka ! »
 
Les voies du Seigneur sont décidément impénétrables…
 
LES SERMENTS, OU LA REVANCHE DE BEN ALI
 
Des années après, la révolution chasse Ben Ali, ses successeurs trouvent dans les réserves ce superbe ouvrage, le « Coran de la République ». Plusieurs présidents prêteront serment la main posée sur le Coran de Ben Ali sans le savoir, à chaque fois j’ai souri en regardant la une de la Presse arborant la photo de ces présidents jurant fidélité à la Démocratie, la main posée sur le nom de Ben Ali… Sans le alif !
 
Un ministre nahdhaoui m’a appelé un jour, « Nous souhaitons réimprimer ce Coran », je lui ai dit la vérité : « Vous n’en avez plus les moyens, et je n’en ai plus l’énergie ».
 
LE MOT DE LA FIN
 
Plus tard, MBS tombera malade. Petit à petit, sa vie et ses souvenirs se sont effacés ; lentement volés par la maladie. 
 
Déjà bien atteint, alors qu’il venait encore au travail, MBS entre dans mon bureau, je suis avec Sami Menif, Directeur éditorial de Cérès. MBS se saisit d’un exemplaire du Coran, le consulte longuement. Nous l’observons, des bribes de souvenirs semblent lui revenir. Il nous regarde, et demande d’une voix à peine audible :
-Qu’est-ce que c’est ?
-C’est le coran Baba, tu te souviens ?
 
Long silence, petite moue, il le repose doucement et dit :
-Mauvais, il faut réécrire.
 
Plus de vingt ans après, cette scène reste un moment fort que nous évoquons régulièrement.
 
EPILOGUE
 
Quelques exemplaires du Coran de Cérès (après tout c’est nous qui avons tout fait) ont circulé après la révolution, avec un horrible autocollant cachant le nom de Ben Ali. Ultime péripétie de l’aventure d’un livre pas comme les autres, au temps de Ben Ali.
 
Si vous possédez un exemplaire, cherchez donc la trace du « noun » rajouté ou du « alif » disparu… Dans tous les cas, gardez le précieusement, c’est un collector !
 

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