FIGAROVOX INTERVIEW -. L'auteur,
professeur au Collège de France, titulaire de la chaire d'histoire
contemporaine du monde arabe, décrypte les forces et les faiblesses des
mouvements terroristes ainsi que les relations entre l'islam et le monde
occidental. Henry
Laurens est également professeur d'histoire et diplômé d'arabe
littéraire à l'Institut national des langues et civilisations orientales
( Inalco), membre du comité éditorial de la revue Maghreb-Machrek. LE FIGARO. - Al-Qaida au Yémen vient de revendiquer l'attentat contre Charlie Hebdo lancé par les frères Kouachi. Amedy Coulibaly,
l'auteur de la prise d'otages de la porte de Vincennes, a, pour sa
part, proclamé sa loyauté au chef de Daech. Quelle est la différence
entre les deux mouvements? Henry LAURENS. - Daech est né
d'al-Qaida. Le mouvement s'inspirede son mode de franchise qui
reposesur l'allégeance au groupe de diverses entités géographiquement
séparées. Ainsi à chaque fois que le mouvement connaît un succès, il
engrange des ralliements.La comparaison s'arrête toutefois là. À
l'époque d'al-Qaida, le recrutementse faisait sérieusement, avec une
méthode et un programme à respecter, sans parler d'un commandement
centralisé . Le fonctionnement de Daech paraît plus brouillon autant
qu'on puisse le savoir. Les stratégies appliquées par al-Qaida et
Daech diffèrent également. Ben Laden pouvait être considéré comme le
petit-fils du révolutionnaire argentin Che Guevara. Sa méthode consistait à multiplierles foyers d'insurrection afin d'amener l'ennemi à se disperser, comme il l'a fait en Tchétchénie, au Kosovo, puis en Irak, en Arabie saoudite
et au Maghreb. Daech fait le contraire en se concentrant sur un
territoire, ce qui le rend plus vulnérable car plus facile à liquider.
Mais cette fragilité s'arrête là. Le commandement décentraliséde
l'organisation rend son fonctionnement plus souple. Il semble quesur le
terrain ses élémentsont une très large liberté d'action. Le mode opérationnel des terroristes est apparu très professionnel… Ces
événements montrent qu'on a bien affaire à une filière djihadiste
entraînée. Comme l'indique mon ami Farhad Khosrokhavar, il semble que
les frères Kouachi se soient radicalisés depuis plusieurs années. Ce qui
est sûr, c'est qu'il est plus facile de débusquer des terroristes qui
appartiennent à un réseau. Selon certains spécialistes, quand une
forcene dépasse pas quatre personnes, elle passe sous le radar de la
surveillance policière. Il est difficile de se prémunir contre les loups
solitaires ou les malades mentaux. Fruit sans doute de la fermeture des
asiles, les prisons comptent un gros pourcentage de ces malades. Tous
ces gens sont sensibles au buzz médiatique qu'engendrent les actions
meurtrières. Merah s'autofilmait quand il tuait. Le sentiment de
stigmatisation d'une communauté peut amener aussi certains de ses
éléments à se radicaliser. Boko Haram, talibans, Daech sont-ils voués à se regrouper en un mouvement encore plus dangereux qu'al-Qaida? Je
ne crois pas en une Internationale islamiste, car il existe trop de
divisions et de luttes au sein des différents mouvements. Aujourd'hui,
il est clair qu'al-Qaida et Daech sont en compétition, d'où d'ailleurs
des surenchères dans les actions. Mais une possible coordination entre
ces différents mouvements ne peut être écartée. Par ailleurs, les cadres
de ces mouvements sont en renouvellement constant, du fait de
l'élimination régulière des dirigeants par des tirs de drones
américains. Le chef de Daech, al-Baghdadi, qui était il y a dix ans une personnalité de second plan, doit sa promotion à ce processus. Comment l'Europe peut-elle se protéger contre une éventuelle ramification de mouvements terroristessur son territoire? Si
beaucoup de djihadistes partis combattre en Syrie semblent vouloir
rentrer au pays, peu y parviennent. À ma connaissance, Daech n'a pas
vraiment de stratégie en Europe, car il est trop occupé à se battre sur
les territoiresqu'il a investis. Ce n'est pas le cas d'al-Qaida, qui
peut s'appuyer sur ses différentes franchises (Maghreb, péninsule
Arabique…). La protection est avant tout de nature policière. Comme
toujours, il y a un arbitrage douloureux entre les exigences de la
sécuritéet la défense nécessaire des libertés. Que pensez-vous de la notion d'islamophobie? Je
dis toujours que le plus grand responsable de l'islamophobie au monde
est Ben Laden. Je pense que la première cause de l'islamophobie vient de
certains musulmans qui incitent à la haine, ce qui diffère d'ailleurs
de l'antisémitisme classique, qui n'était pas une réaction à un
comportement ou à une action. Je préfère ne pas utiliser le terme de
racisme, qui fait référence à la biologie, alors que, dans le même
temps, on affirme que les races n'existent pas. Je préfère le terme
anglo-saxon, «hate crime», qui signifie «crime de haine». Combattre
l'incitation à la haine me paraît plus approprié que de dénoncer à tout
bout de champ le racisme. Comment expliquer la tension croissante des relations entre l'islam et le monde occidental? Deux
points essentiels sont à avoir à l'esprit. Le monde musulman, au moins
dans sa dimension continentale(de la Méditerranée au Pakistan) ,reste un
espace géopolitique où s'affrontent les puissances régionales et
internationales. On est donc là dans une continuation de l'époque
coloniale. Il en résulte que, pour les populations, le colonialisme et
l'impérialisme restent des réalités vivantes. Ce qui domine est une
culture du ressentiment aussi bien par rapport à l'histoire des deux
derniers siècles que pour la réalité contemporaine. En ce qui concerne
le domaine proprement religieux, ce sont les questions «sociétales» qui
importent. C'est tout le vaste domaine des relations de genre et de
sexualité. Aujourd'hui, le champ de bataille porte essentiellement surle
corps de la femme. Il peut se résumer de façon lapidaire par le rapport
entre voile et dévoilement. Il existe en effet un paradoxe à porter un
voile, qui signifie ne pas vouloir être un objet sexuel, dans une
société très sexualisée comme la nôtre, les publicités en faisant la
démonstration quotidienne. Aussi, le fait de porter le voile attire les
regards et est, donc, plus violent sexuellement qu'un nombril à l'air.
Cette conduite est finalement contraire aux valeurs islamiques
prétendument défendues. Une jeune femme qui porte un foulard a
tendance à dire non seulement «Dieu me l'ordonne», mais «c'est aussi mon
droit». On voit là qu'il y a là deux légitimités qui sont en fait
contradictoires, celle d'un ordre divin et celle d'une liberté
individuelle qui pourrait être aussi bien invoquée pour le droit au
piercing.
Já em Setembro aqui havíamos escrito sobre a matéria.
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