Bernard Maris |
Pelo seu interesse, transcrevemos a entrevista que Bernard Maris concedeu a Sylvain Courage, publicada no nº 2599 (28 de Agosto 2014) do "Nouvel Observateur":
"Le capitalisme ne durera pas éternellement"
Les romans de Houellebecq lus à la lumière des concepts économiques, c'est le défi relevé par Bernard Maris dans un essai original et stimulant. *
Le Nouvel Observateur Conformément au titre de votre essai, faut-il considérer Houellebecq comme un économiste?
Bernard Maris Surtout pas ! J'admire trop les artistes comme lui pour les confondre avec les tristes charlatans que sont les économistes. Qui se souviendra de ces grands prêtres d'une pseudoscience déjà en pleine déroute? Houellebecq est un créateur, l'un de nos plus remarquables romanciers. Il s'est attelé à décrire le triste monde dans lequel nous vivons asservi par la religion de l'économie.
J'ai été ébloui par «la Carte et le Territoire» [prix Goncourt en 2010]. J'ai pris conscience de la lucidité désespérée avec laquelle il décortique l'économisme, ce dogme qui consiste à ramener l'homme à une seule dimension: la rationalité censée déterminer ses choix.
Que dit précisément «la Carte et le Territoire»?
A l'encontre du libéralisme, Houellebecq pose la question de l'utile et de l'inutile. Le roman s'ouvre de manière ironique sur un problème de plomberie. Un plombier sauve le héros en réparant son chauffage. Mais cet «artisan utile» ne rêve que de s'installer en Thaïlande pour louer des Jet-Ski aux touristes, une activité «inutile», selon Houellebecq, puisque simplement destinée à satisfaire les caprices consuméristes de «petits péteux bourrés de fric».
Cette parabole résume la lecture houellebecquienne de l'économie. Où est la rationalité? Quelle est la vraie valeur du travail? Dans «la Carte et le Territoire», la France des producteurs, dont l'artiste Jed entreprend de photographier les outils ou les pièces savamment usinées, s'efface au profit du tourisme de masse. La France transformée en immense Disneyland! C'est l'aboutissement du règne de l'économisme. Un monde sans aucune valeur. Houellebecq préférerait une économie d'artisan et d'artistes.
Houellebecq n'a que mépris pour les activités de service. A ses yeux, le commerce, la communication et le conseil sont parasitaires. Ces activités produisent de l'argent, mais nullement de la richesse comme le font les paysans, les ouvriers, les ingénieurs, les artisans et les artistes. En son temps déjà, Adam Smith, le père de l'économie libérale, considérait avec raison qu'on s'enrichissait en recrutant un ouvrier et qu'on s'appauvrissait en employant un domestique... Les services, eux, ne font que vendre le «libéralisme méthodique» que Houellebecq déteste.
Les DRH et les consultants veillent à maintenir la lutte sans merci qui règne dans les entreprises. Les publicitaires mettent en scène le renouvellement permanent de l'offre pour entretenir l'immaturité des consommateurs insatiables. Et les communicants font passer le message selon lequel il n'y aurait pas d'autre horizon envisageable que le marché. Dans «Plateforme», les communicantes Babette et Léa déambulent sur une passerelle construite par des ingénieurs. «Pourquoi sont-elles payées dix fois plus que ces ouvriers?» s'interroge Houellebecq. C'est très marxiste comme réflexion!
Et les financiers qui règnent sur l'économie du XXIe siècle?
Il n'en parle guère, mais il les considère comme des êtres absolument vides. Dans «Plateforme», il est question d'un trader. Il est sur le marché tout en étant loin de tout. Comme le type qui pilote des drones. Son métier est virtuel, il ne représente rien. Mais notre société le place au sommet car il est le seigneur de la consommation. Il peut tout se payer...
Houellebecq a-t-il une vision complète et articulée de notre monde économique?
Ses idées sont parfaitement cohérentes. Son premier roman, «Extension du domaine de la lutte», traite du libéralisme et de la compétition entre les individus. «Le libéralisme économique, c'est l'extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société», écrit Houellebecq.
Il considère l'entreprise comme le royaume de l'asservissement volontaire. Il montre que la mobilité, l'insécurité et la flexibilité que l'on crée au sein des boîtes ne servent qu'à établir un pouvoir sur les êtres.
«Les Particules élémentaires» analyse le règne de l'individualisme absolu et du consumérisme, mais aussi celui de la science et de la technique, que Houellebecq admire. «Plateforme» décrit la loi de l'offre et de la demande appliquée au sexe. «La Possibilité d'une île» se termine par l'évocation d'un monde post-capitaliste ayant réalisé le désir ultime des consommateurs: la vie éternelle réservée à une secte, car aux yeux de Houellebecq le capitalisme ne peut aboutir qu'à la domination d'une minorité de nantis qui ont la capacité de se reproduire tandis que le reste de l'humanité est voué à disparaître.
Il suffit de constater l'accumulation toujours plus grande des richesses entre les mains d'une caste de multimilliardaires pour comprendre cette vision. Le capitalisme est un système fondé sur l'immaturité et il ne peut pas durer éternellement. Il n'a que deux cents ans, après tout. Ce n'est rien à l'échelle de l'histoire de l'humanité.
Quel est le concept central qui sous-tend la vision qu'a Houellebecq de l'économie?
La destruction créatrice, notion que l'on doit à Schumpeter. L'économiste autrichien a théorisé ce processus continuellement à l'oeuvre dans les économies qui voit se produire de façon simultanée la disparition et la création d'activités. C'est pour participer à ce renouvellement perpétuel et à cette compétition incessante que sont organisées les entreprises.
Essence du capitalisme, la destruction créatrice suscite l'incertitude et l'angoisse chez les malheureux cadres, «qui montent vers leur calvaire dans des ascenseurs en nickel»(1), écrit Houellebecq. Infantilisés, ces managers sont condamnés à la lutte jusqu'à l'épuisement. «Il avait l'air d'un technico-commercial; il avait l'air au bout du rouleau», dit Houellebecq (2).
Mais, en renouvelant sans cesse l'offre de biens et de services, la destruction créatrice infantilise aussi les consommateurs insatiables. A peine ont-ils consommé qu'il leur faut bientôt recommencer. Vous avez aimé la 3G? Vous adorerez la 4G! Selon Houellebecq, la destruction créatrice fait de nous des «kids définitifs» jamais rassasiés, jamais satisfaits. D'où la fascination de Jed, héros de «la Carte et le Territoire», pour les hypermarchés.
A quoi aboutit la destruction créatrice?
Logiquement, à l'épuisement du monde et de l'homme. Schumpeter postulait que ce mécanisme déboucherait sur une social-démocratie apaisée. Houellebecq est beaucoup plus pessimiste. Il considère que les Trente Glorieuses et l'Etat providence ont permis une hausse du pouvoir d'achat et l'entretien d'un certain nombre «d'inutiles, d'incompétents et de nuisibles», mais aussi d'écornifleurs modestes (Michel dans «Plateforme») à qui va sa tendresse.
Mais cette parenthèse s'est refermée. La compétition mondialisée ne peut aboutir qu'à une extinction. Surpopulation, épuisement des ressources, inégalités croissantes... Comme Malthus, Houellebecq pense que le capitalisme court à sa perte, car il est suicidaire. Malthus avait théorisé la baisse tendancielle du profit. Houellebecq reprend cette notion et l'applique à la sexualité. Il parle de baisse tendancielle du désir. La consommation sexuelle toujours insatisfaite mène à la pornographie ou à la partouze tout aussi insatisfaisante et lassante car toutes deux dénuées d'amour.
Sur quoi fonde-t-il cette prophétie d'une autodestruction du capitalisme?
La plupart des économistes croient au retour à l'équilibre. Soumis à la loi de l'offre et de la demande, les marchés finissent par se réguler même s'il faut passer par des périodes de crise. Les ressources s'épuisent? Les gains de productivité y pourvoiront. Les espèces disparaissent? L'homme en créera de nouvelles.
Mais Houellebecq, qui est un romancier du passage inexorable du temps, de l'irréversibilité et de l'entropie, ne croit pas à ce retour à l'équilibre. Il pense au contraire que tout processus de dégradation va à son terme. Il pense que la mission de l'homme est de détruire la nature, que tout ce qui est techniquement réalisable sera réalisé par l'homme, à commencer par le clonage humain. Houellebecq n'est pas un écolo!
Houellebecq a une formation d'ingénieur agronome. Mais il est aussi informaticien. L'informatique est fondée sur les algorithmes, c'est-à-dire la recherche des sentiers optimaux. Voilà pourquoi Houellebecq est en phase avec la recherche d'optimalité, qui est au coeur de l'économie. Il est d'ailleurs particulièrement fier d'en rendre compte.
Il estime qu'«Extension du domaine de la lutte» est un «livre salutaire qui ne pourrait plus être publié aujourd'hui. Parce que nos sociétés en sont maintenant arrivées à ce stade terminal où elles refusent de reconnaître leur mal-être» (3). Il vient de lire l'essai que je consacre à sa conception de l'économie et il l'apprécie. Il m'a dit qu'il en était même ému...
Houellebecq n'est pas le premier romancier à décrire le monde capitaliste, son avidité, son iniquité. Balzac, Zola, Maupassant l'ont fait avant lui...
Les romanciers du XIXe et du début du XXe siècle ont parfaitement décrit le capitalisme dans son état originaire, c'est-à-dire encore influencé par les idéaux et les valeurs de l'Ancien Régime. Les capitalistes d'alors, même s'ils avaient un immense appétit de richesses et réduisaient le prolétariat à la misère, rêvaient encore de titres nobiliaires, de salons et de galanteries. Ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui.
Qu'est-ce qui a changé?
L'hyperindividualisme. Pour les grands économistes classiques - Smith, Ricardo, Malthus et Marx - existent des classes. Il y a les rentiers, les entrepreneurs, les salariés. Houellebecq lui se réfère à Alfred Marshall, professeur et ami de Keynes, qui n'a vu dans la société que des individus utilitaristes et rationnels qui agissent selon la loi de l'offre et de la demande. Houellebecq ne croit pas à ce postulat.
« L'existence d'agents économiques irrationnels était depuis toujours la part d'ombre, la faille secrète de toute théorie économique», écrit-il dans «la Carte et le Territoire». Mais il a bien compris que les liens collectifs ne devaient plus exister pour que règne pleinement le marché.
Où est passé le prolétariat, par exemple ? Houellebecq, dont le père a participé au Front populaire, a beaucoup de tendresse pour cette période. 1936, c'est le moment où les ouvriers disposent d'un peu d'argent et peuvent enfin bénéficier de quelques loisirs : les congés payés. Aujourd'hui, c'est honteux. Que reproche-t-on aux Français? De prendre trop de vacances, d'être dans le plaisir, de ne pas assez travailler. Aux yeux des libéraux, les Français sont trop bien soignés, et les inégalités sont trop faibles dans notre pays...
Vous n'allez tout de même pas faire de Houellebecq un socialiste!
Non, bien sûr. Mais Houellebecq est sensible à l'utopie du «juste salaire» récompensant un «juste travail» telle que l'a explicitée George Orwell et, avant lui, saint Thomas, qui parlait d'un «salaire honnête». Houellebecq cite aussi Fourier, à propos du désir d'être heureux dans son travail. Il faudrait que le peuple puisse être satisfait de ce qu'il produit. En vivre honnêtement sans avoir à quémander. Ce que ne supporte pas le capitalisme.
Houellebecq a lu et compris le vrai Keynes. Pas celui de la relance par la dépense publique cher à la gauche. Mais celui de la décroissance, de la monnaie fondante et de l'euthanasie des rentiers.
Houellebecq ne croit pas que l'on puisse échapper à l'individualisme et à l'économisme. «De tous les systèmes économiques et sociaux, le capitalisme est sans conteste le plus naturel, cela suffit déjà à indiquer qu'il devra être le pire», écrit-il dans «Extension du domaine de la lutte».
Mais Houellebecq, il n'est pas le cynique partouzard que l'on dit. En vérité, il est très fleur bleue. Il constate que l'économie et «les eaux glacées du calcul égoïste» - formule célèbre qu'il emprunte à Marx - tuent tous les liens collectifs qui faisaient le travail bien fait. Houellebecq est très émouvant quand il dit ne s'intéresser qu'à ceux qui sont capables de donner de la bonté et de l'amour. C'est pour cela qu'il est féministe, même si, sans doute, il a un peu peur des femmes.
Il ne faut pas s'arrêter à ses provocations. Pour lui, l'image de Dieu, c'est le sexe de la femme, dont nous sommes tous issus. Tandis que les hommes, eux, cultivent l'instinct de mort et le capitalisme. A la fin de «la Possibilité d'une île», les hommes disparaissent, et il ne reste que des femmes.
Dans cet essai, à la faveur de votre découverte de Houellebecq, vous semblez faire vos adieux à l'économie...
L'économie est désormais le discours des puissants. C'est une science religieuse. Malheureusement, je ne vois pas comment on peut en sortir. Vous êtes contre la compétitivité? Alors vous voulez créer du chômage! L'économie se présente comme le discours du bonheur qui s'est substitué au discours du lien, de la fidélité, ou encore de l'honneur, de la grandeur et de l'histoire.
Les Allemands sont plus efficaces que nous. Les Espagnols un peu moins. Et alors? Cette glose me paraît superficielle. Ce n'est que de la mousse, du vent. Dans un poème (4), Houellebecq a écrit : «Nous refusons l'idéologie libérale parce qu'elle est incapable de fournir un sens, une voie à la réconciliation de l'individu avec son semblable dans une communauté que l'on pourrait qualifier d'humaine.»
* Houellebecq économiste
(1) Le sens du combat
(2) La carte et le territoire
(3) Le sens du combat
(4) Houellebecq économiste
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