O antropólogo e economista americano David Graeber, professor da London School of Economics publicou uma obra oportuníssima:
Debt: The First 5.000 Years, que acabou de ser traduzida em francês com o título
Dette. 5.000 ans d'histoire.
A propósito, David Graeber concedeu ao Nouvel Observateur (nº 2557) uma interessante entrevista que não se encontra
online e provocou o seguinte artigo de Hervé Nathan no
hebdomadário francês
Marianne (nº 857):
La dette humaine
Mercredi 2 Octobre 2013 à 10:53
On en parle sans arrêt, mais on la connaît mal. Dans
«Dette, cinq mille ans d'histoire», véritable best-seller aux
Etats-Unis, l'anthropologue David Graeber décrypte le fonctionnement de
la dette. Une analyse passionnante par l'un des initiateurs d'Occupy
Wall Street.
Qui de nous a fait attention au nouveau billet de 5 euros ? Un simple
petit biffeton de presque rien. Aussi moche et sans saveur que son
prédécesseur et ses grands frères de 10, 20, 50, 100, 200 et même 500
(rarissimes dans nos contrées). Apparemment, il n'y a aucune raison de
considérer ce minuscule rejeton de la famille, aux couleurs pisseuses et
illustré d'un motif volontairement sans signification, donc sans
intérêt.
Pourtant, en regardant bien, on distingue une sorte de griffonnage qu'on imagine réalisé avec une pointe Bic : « MDraghi ». Ce MDraghi, pour Mario Draghi, a remplacé récemment « JcTrichet », pour Jean-Claude Trichet. Le paraphe de « SuperMario » signifie : « Moi, président (de la BCE), je m'engage à rembourser 5 euros dès qu'on présentera ce billet au guichet de ma banque. »
Il s'agit donc d'une reconnaissance de dette ! Et c'est justement parce
que c'est une dette que nous nous disons, en rangeant le billet dans
notre portefeuille : « C'est du sûr. »
Car, à
moins d'habiter à Chypre, nous sommes certains que Mario Draghi paiera
les 5 euros. Mais pourquoi avons-nous confiance dans la signature d'un
homme que nous connaissons à peine, et pas dans le sigle de
l'institution imposante qu'est la Banque centrale européenne, comme les
Américains attachent de la valeur à l'improbable signature de Jack Lew,
le secrétaire d'Etat au Trésor des Etats-Unis, imprimée sur les dollars ?
Nous avons donc de la dette en poche. Et nous trouvons ça
très bien. Mais, lorsque nous lisons les journaux qui évoquent la dette
grecque, française, italienne, espagnole, nous sommes scandalisés par la
punition infligée à ces peuples par la troïka Fonds monétaire
international-Banque centrale européenne-Union européenne. C'est ce
paradoxe qu'explore l'anthropologue américain David Graeber dans son
livre Dette, cinq mille ans d'histoire, qui vient de sortir en français.
De victime à coupable
Graeber prend à rebours la définition des économistes orthodoxes pour
qui la dette et les taux d'intérêt sont le simple prix à payer pour le
temps (celui de l'investissement) et le risque (de tout perdre). Un
instrument neutre, comme aiment à le prétendre les libéraux. Une
mystification pour l'auteur : la dette est un instrument de la
domination des hommes sur les hommes. « Pourquoi la dette ? D'où
vient l'étrange puissance de ce concept ? Sa flexibilité est le
fondement de son pouvoir. L'histoire montre que le meilleur moyen de
justifier des relations fondées sur la violence, de les faire passer
pour morales, consiste à les recadrer en termes de dettes. Cela crée
aussitôt l'illusion que c'est la victime qui commet un méfait. »
C'est ainsi qu'au XIXe siècle les colonisateurs français de Madagascar
inventèrent de toutes pièces une « dette », en exigeant que les
Malgaches remboursent les frais de leur occupation. Ou encore que le
gouvernement du roi Charles X obligea en 1825 la jeune république
d'Haïti à emprunter (en France, bien sûr) la somme énorme de 150
millions de francs-or (l'équivalent de 18 milliards de dollars actuels),
afin de « dédommager » les anciens colons, français bien entendu,
chassés vingt ans plus tôt lors de l'indépendance. Les descendants des
esclaves ont dû payer pour la libération de leurs parents, jusqu'à la
cinquième génération. Haïti est encore aujourd'hui le synonyme de «
dette infâme », symbole de toutes les extorsions perpétrées par le fort
sur le faible.
Une forme d'assurance
Et pourtant nous continuons à penser que « tout le monde doit payer
ses dettes ». Nous y mettons même un point d'honneur. Rien n'est
pourtant moins évident que cet adage. Depuis la nuit des temps, les
hommes se prêtent entre eux. Bien avant le troc, bien avant la monnaie,
ils échangeaient entre voisins des biens et des services en se
reconnaissant des créances réciproques. Nul besoin d'éponger la dette :
l'assurance que l'échange perdurerait suffisait.
Avec
l'irruption du marché, il y a cinq mille ans, et des taux d'intérêt, la
dette change de sens : elle devient le signe de l'infériorité matérielle
et morale des débiteurs à l'égard des créanciers.
La religion s'en mêle. « Pour les anciens brahmanes, la dette est synonyme de culpabilité et de péché »,
rappelle Graeber. Les hindouistes ont écrit leurs textes vers 1500 av.
J.-C. Trois mille cinq cents ans plus tard les économistes Michel
Aglietta et André Orléan inventent le concept de « dette primordiale »*. C'est une « dette de vie », écrivent-ils en «
reconnaissance des vivants à l'égard des puissances souveraines, dieux
et ancêtres ». « L'homme naît endetté. Il l'est avec sa communauté, avec
sa famille, avec les dieux.» Evidemment, il est impossible de
rembourser totalement une vie et on passe donc son existence sur Terre à
la rembourser par les sacrifices.
Ces péchés qu'on rachète
De ces âges obscurs nous est resté un vocabulaire qui mêle intimement
argent et morale. En anglais, le Jugement dernier est appelé Reckoning,
le « règlement des comptes ». Le mot guilty (« coupable ») est dérivé du vieil anglais geild, qui signifiait « indemnité » ou « sacrifice », et de l'allemand geld (« argent »). Pour les juifs et les chrétiens, la « rédemption » veut également dire le « rachat ».
Jésus meurt sur la croix pour racheter les péchés de l'humanité. Avec
un surmoi collectif pareil, pas étonnant que la majorité des Européens
d'aujourd'hui, et pas seulement les Allemands, obtus, forcément obtus,
estiment que les Grecs sont les premiers responsables de leur malheur.
Le sort du débiteur étant de son fait, le créancier est donc
habilité à agir envers lui, presque comme bon lui semble, et jusqu'à la
sauvagerie. La manière la plus ancienne et la plus
pratique a été de se saisir de sa personne ou de celles de ses épouse,
fils ou filles, pour les faire travailler jusqu'au remboursement du
capital et des intérêts. La dette est donc intimement liée à
l'esclavage, au moins autant qu'à la guerre, grande pourvoyeuse de
captifs.
Et pas seulement dans les sociétés antiques.
L'exploitation de l'Amérique à partir de la conquête s'est réalisée
essentiellement grâce à l'utilisation de millions de péones, des paysans
endettés réduits au travail forcé sur les latifundia de leurs
créanciers. On s'en souvient peu, mais la loi d'interdiction de
l'esclavage promulguée par Abraham Lincoln lors de la guerre de
Sécession libère aussi des travailleurs blancs surendettés. L'Inde n'a
supprimé les dernières lois permettant l'esclavage pour dettes qu'en 1975 et le Pakistan qu'en 1992.
C'est ainsi que, depuis trois mille ans, possédants et possédés s'affrontent avec acharnement. Et
si l'image de l'endetté est mauvaise, celle de l'usurier, du banquier
l'est encore davantage, jusqu'à les placer en marge de la société, comme
les juifs sous l'Ancien Régime. « Chaque fois qu'un conflit ouvert a
éclaté entre classes sociales, il a pris la forme d'un plaidoyer pour
l'annulation des dettes, la libération des asservis et, en général, pour
la redistribution équitable des terres », explique David Graeber. A
partir du XIXe siècle av. J.-C., les Mésopotamiens, ceux-là mêmes qui
avaient inventé le prêt à intérêt vers 3000 av. J.-C., « effacent les ardoises » pour éviter les révoltes et continuer à percevoir des impôts.
L'abandon des créances tous les sept ans, institué par Moïse, rétablit
l'égalité entre les enfants d'Israël, conformément au mythe fondateur :
« Je suis l'Eternel, ton Dieu, qui t'a sorti de la maison d'esclavage en Egypte.»
Une course à l'abîme
Au VIe siècle avant notre ère, dans Athènes, petite cité au bord de la
révolution sociale, le législateur Solon décrète la remise des dettes et
l'interdiction de l'asservissement. Il fait franchir un pas de géant à
la démocratie : désormais chaque citoyen est à la même distance du
pouvoir (isocratie) et a donc vocation à l'exercer. Au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale, Keynes appelait à « euthanasier les rentiers » afin d'ouvrir le chemin à un nouveau contrat social progressiste.
Au tournant du XXe siècle, le capitalisme financier a eu l'ambition de
faire tourner la machine à l'envers en permettant à tout le monde de
devenir rentier, de manière que tous les « travailleurs » puissent
happer un fragment des profits créés par leur propre exploitation. On a
appelé cela « la démocratisation de la finance ». Formidable
renversement opéré par la magie des marchés spéculatifs : les pauvres,
ou du moins les classes moyennes laborieuses, fournissent l'épargne qui
permet de prêter aux riches, qui eux, abusent de l'emprunt pour spéculer
sur l'immobilier, les matières premières, les monnaies... Comme dit la
chanson : « le monde a changé de base », non pas, hélas, grâce au communisme, mais avec la révolution reaganienne.
Pour interrompre cette course à l'abîme, David Graeber, rejeton de la
gauche radicale américaine, appelle à en finir avec les dettes, par un « jubilé biblique planétaire ». Effaçons toutes les ardoises, et imaginons enfin des relations dont le centre ne soit pas l'argent. Pour être enfin humains.
* La Monnaie souveraine, 1998, ouvrage collectif 1998, éditions Odile Jacob.
Dette, 5.000 ans d'histoire, Les liens qui libèrent, 624 p.,
Sem comentários:
Enviar um comentário