quarta-feira, 15 de fevereiro de 2012

O PRIMEIRO CHOQUE DAS CIVILIZAÇÕES


Excelente entrevista de Gilles Anquetil a Serge Gruzinski, no Nouvel Observateur nº 2466

Le premier choc des civilisations

Le XVIe siècle est le temps de la première mondialisation, d'Asie en Amérique. L'historien Serge Gruzinski nous explique la rencontre de ces mondes, indispensable pour comprendre «l'invention de l'Occident» et la globalisation d'aujourd'hui.

Le Nouvel Observateur Votre nouveau livre, «l'Aigle et le Dragon», est le récit de la première mondialisation au XVIe siècle par les Ibériques, c'est-à-dire les Espagnols et les Portugais, qui pour la première fois se déploient à l'est comme à l'ouest sur la scène planétaire, en Asie et en Amérique. Est-ce vraiment la première mondialisation?

Serge Gruzinski Il ne faut pas oublier la première mondialisation, certes incomplète, musulmane. Quand l'ambassadeur portugais Tomé Pires arrive à Canton en 1520, il y découvre de grandes mosquées. L'Islam, par les marchands et les routes de la soie, avait depuis longtemps pénétré la Chine. En tant qu'historien je me suis toujours demandé si l'antagonisme entre l'Occident et l'Islam ne vient pas de ce moment-là, quand les musulmans du XVIe siècle, pionniers de la mondialisation, ont eu le sentiment d'avoir été dépossédés. Eux qui étaient partout, en Afrique, en Asie centrale et en Chine, n'ont pu résister à la grande offensive ibérico-chrétienne.
Les musulmans ont été désespérés de n'avoir pas découvert l'Amérique. Il est vrai que ni le Coran ni la science arabe n'en ont jamais rien dit. De plus, très vite le Nouveau Monde allait être totalement christianisé et échapper à toute influence musulmane pendant des siècles. C'est donc au début du XVIe siècle que les Européens catholiques vont damer le pion du monde musulman et intervenir aux quatre coins de la planète.

Comment le désenclavement de la planète par les Ibériques, grâce à la révolution maritime de Magellan puis la découverte de l'Amérique, s'est-il transformé en première mondialisation?

Ce sont certes les voies maritimes découvertes par Vasco de Gama et Magellan et les grands bateaux construits à Séville ou à Lisbonne qui ont permis cette première expansion planétaire. Mais cela n'explique pas tout. Quand les Espagnols envoient Magellan vers l'inconnu, cela veut dire qu'il y a des financiers européens qui ont l'audace folle d'investir des sommes gigantesques à l'autre bout du globe pour des profits très hypothétiques. Et cela s'est répété sans arrêt au cours du XVIe siècle.
C'est vrai, il fallait des bateaux, mais avant tout des capitaux. A Séville, on rêvait des épices des Moluques! Ce premier désenclavement planétaire est d'ordre financier. Il eut pour origine un pari et une prise de risque maximale motivés par une soif de richesses. Mais cette audace n'était pas seulement liée à la cupidité ou au désir prédateur, elle était aussi d'ordre religieux. Il y avait une double démarche. Celle de faire main basse sur le «pétrole» de l'époque, c'est-à-dire les épices - recherchées autant pour la conservation alimentaire, le goût, voire la pharmacopée -, mais aussi de réaliser, grâce aux conquêtes, le rêve inouï de l'établissement d'une monarchie chrétienne universelle.
En Europe s'élaborent à cette époque une «conscience-monde» et le projet de christianiser la planète entière. Les Ibériques ont pour rêve de prendre en charge religieusement toute l'humanité, de la sauver, de la civiliser, de l'inscrire dans leur histoire et, au passage, de la faire travailler au service du monarque universel, à savoir Charles Quint. Marchands, soldats, marins et missionnaires marchent ensemble. Les théologiens disent: il n'y a qu'une seule humanité. Les hommes doivent donc tous commercer les uns avec les autres. Il n'y a aucune limite possible au commerce mondial. Les Ibériques se battaient donc pour la double liberté planétaire de circulation et de prédication. C'est l'idée très moderne que l'homme européen a le droit de circuler, de commercer et de prêcher la foi chrétienne partout.

Dès 1517, via l'ambassade de Tomé Pires, les Portugais envisagent très sérieusement de conquérir la Chine. Ce fut un fiasco et la guerre de Chine n'aura pas lieu...

C'est vrai, la Chine a été à cette époque la cible des Portugais avec un réel désir de conquête. Pour mille raisons, que j'explique dans mon livre, cela n'a pas marché. Mais il est fascinant de constater - et c'est tout l'intérêt de l'histoire «simultanée» ou «globale» que je tente de faire - que dans le même siècle les Ibériques ratent la Chine qu'ils ont fortement convoitée et réussissent l'Amérique, alors que Hernán Cortés n'avait aucun mandat de Charles Quint pour conquérir le Mexique et a agi de sa propre initiative, en rebelle! D'un côté, un projet de conquête programmé qui a échoué, de l'autre, un non-projet qui, par accident et grâce à l'audace de Cortés, fut une réussite totale, puisque tout le Nouveau Monde fut colonisé et christianisé.
Une des réponses de cette double histoire, c'est que les Chinois n'éprouvaient aucun intérêt ni attirance pour l'étranger, qu'il soit européen ou mongol, qui était considéré par définition comme un barbare devant impérativement faire allégeance à l'Empire céleste. Par l'intermédiaire de leur bureaucratie tentaculaire et xénophobe, les Chinois se sont constitués de formidables défenses immunitaires contre les Portugais.
En revanche, l'empereur aztèque Moctezuma est tombé dans le piège de sa curiosité envers l'«autre» castillan, le conquistador, arrivé par bateau de nulle part. Moctezuma a accordé une place à l'étranger et cela lui fut fatal. Dans la conquête du Mexique par Cortés, ce ne furent pas les chevaux, les canons et quelques milliers d'hommes qui vinrent à bout d'un Empire, certes divisé, de 20 millions d'Amérindiens, mais bien l'ouverture à l'autre, à l'étranger, ange ou démon peu importe, de la part de l'empereur mexicain. A tous les sens du mot, les Mexicains n'avaient aucune défense immunitaire contre l'envahisseur inattendu, alors que les Chinois, portés par leur sentiment de supériorité et d'indifférence à l'endroit de l'autre, avaient développé depuis des millénaires des défenses très efficaces, puisqu'ils ne furent jamais colonisés.
Dépourvus d'empire cuirassé et d'armure bactériologique, les Mexicains ne parviendront jamais à se débarrasser de leurs «visiteurs». Les Ibériques permirent ainsi à deux mondes qui s'ignoraient, le chinois et le mexicain, d'être connectés. Ironie de l'histoire, au XVIIIe siècle, c'est l'argent extrait du Nouveau Monde vendu par les Espagnols contre de coûteuses marchandises asiatiques qui assura le formidable développement de la Chine.

Le sous-titre de votre livre est «Démesure européenne et mondialisation au XVIe siècle». Quelle est l'explication de cette démesure qui a permis de relier les quatre parties du monde entre elles?

L'historien ne peut pas tout expliquer. La Shoah ne s'explique pas. La démesure européenne de cette époque, justifiée au nom de Dieu, et la frénésie de conquête ont bien sûr quelque chose de monstrueux. Cette démesure a provoqué la destruction des civilisations amérindiennes, puis la traite de masse des esclaves d'un continent à l'autre. Le bilan est effroyable.
Ce sont de vieux archaïsmes religieux et culturels - le messianisme, l'eschatologie, le millénarisme... - bref, ces anciens schémas bibliques ou médiévaux qui ont forgé le projet ibérique de se projeter dans le monde pour que Charles Quint devienne l'empereur chrétien universel. Le philosophe Peter Sloterdijk a écrit fort justement à propos du XVIe siècle: «Les temps modernes sont l'ère du monstrueux créé par l'homme.» Oui, au XVIe siècle, cette démesure est bien européenne: ce sont les Ibériques qui visitent l'Amérique et la Chine, jamais le contraire.

Autre surprise de l'histoire: Colomb, Magellan et Cortés croient découvrir l'Asie mais vont sans le savoir inventer l'Occident...

C'est pourquoi les Espagnols nommeront très longtemps le Nouveau Monde les Indes occidentales, qu'ils considéraient comme l'avant-poste, grâce à l'océan Pacifique, des Indes orientales. Aujourd'hui encore les indigènes du continent, de la Patagonie au Canada, sont pour nous des Indiens. L'Amérique a commencé par être un accident et un obstacle dans la course des Espagnols vers l'Orient. L'Amérique progressivement dérivera vers l'est et nouera des liens privilégiés avec le Vieux Monde européen.
L'ensemble donnera naissance à l'Occident, concept que seule une histoire globale peut valablement expliquer. L'invention de l'Occident est en effet indissociable de l'échec ibérique face à la Chine. C'est la résistance de la Chine qui a délimité les contours de l'Occident.

Propos recueillis par Gilles Anquetil

Source: "le Nouvel Observateur" du 9 février 2012.

1 comentário:

Anónimo disse...

Penso que esta fora da realidade
historica.O artigo que apresenta
não deixa de ser novidade para quem
se interessa um pouco por assuntos
politicos ou sociais.
Hoje tambem a realidade demonstra
que e escravatura não acabou como deve saber.
Não sera um exagero falar do choque
de civilizações?????????????????