sábado, 4 de setembro de 2021

LA PEAU DE CHAGRIN

 


Republico este notável texto do meu amigo Olivier Steiner, hoje publicado no Facebook:

Ma peau de chagrin 
 
"Plus de 30 ans c'est mort", "Pas de vieux", "Merci j'ai déjà un père"... Ces petites phrases lapidaires on les trouve sur les applis de rencontre gay, et ne faites pas les innocents, nous sommes nombreux à y être, ou à y passer, quel que soit le nom de l'appli en question, ou du site, sa spécificité ou finalité. Car il y en a pour tous les goûts, on le sait. 
 
Je voudrais parler de cette violence anti "vieux", car j'ai l'impression qu'elle devient de plus en plus grande. 
 
Un soir un garçon est venu dans ma chambre, nous avons fait ce que nous avions prévu de faire, et après nous avons un peu parlé. Et la première chose qu'il m'a dite : "Tu fais plus jeune en vrai. Tu ne devrais pas dire que tu as 45 ans, tu sais, j'ai failli ne pas venir à cause de ça, mais comme nous nous étions à 150 mètres, j'ai pris le risque."
Quel risque, ai-je répondu ? Celui de te retrouver face à un cadavre en devenir ? Le garçon, adorable au demeurant, n'a pas répondu, je ne suis pas sûr qu'il ait compris. 
 
Est-ce que ça a toujours été comme ça, ce racisme anti "vieux", cet âgisme, chez
 les homosexuels ? Peut-être que oui, peut-être qu'avant je ne m'en apercevais pas parce que j'étais du bon côté... Mais mon intuition est que ce phénomène prend une ampleur bien triste et inquiétante. On veut du jeune, ça veut du jeune ! Du jeune, de la chair ferme, de la pulpe, une peau lisse, des fesses bombées comme des pamplemousses, un petit corps de jeune faon dessiné, des abdos surtout : on ne veut pas mourir. On a si peur de mourir ! 
 
Ce refus de la mort, du déclin, du corps qui change, se transforme, c'est vieux comme le monde, évidemment. Mais dans la société Instagram, dans cette société des filtres qui embellissent, lissent les traits, mentent, trafiquent, l'image inconsciente du corps change, a changé. 
 
Bien sûr, on s'extasie encore sur les dernières photos de Sharon Stone à Venise sans maquillage et sans filtre, on s'extasie idem sur la dernière série photos de Charlotte Rampling, 75 ans, que j'ai publiée il y a quelques semaines, Charlotte "n'a rien fait" (comme on dit), à son visage, et elle est magnifique, bien sûr. Mais au fond de soi, et en particulier dans l'inconscient de la communauté gay, le culte du minet, du jeune éphèbe, le twink comme ils disent, est en train de se généraliser, et ce n'est pas un progrès. Ce ne serait qu'un goût pour la jeunesse, c'est vrai qu'il y a une beauté de la jeunesse, beau est le spectacle de l'explosion de la vie, mais ce goût, cette inclination, se double d'un dégoût, d'un mépris voire d'une grande hostilité vis-à-vis de celui qui n'est plus dans cette jeunesse des pédés, à savoir la glorieuse tranche 18-30. 
 
Nous sommes en train de devenir des vampires, et ce que nous préférons par-dessus tout c'est le sang des vierges. Ou de ceux qui ressemblent aux vierges. Car on pense qu'en touchant, en léchant, en mangeant, en pénétrant le corps jeune, on va absorber un peu de cette jeunesse - corps fontaines de Jouvence - c'est-à-dire qu'on va s'éloigner de sa propre mort. Voire la nier, ou l'oublier. Mais le charme n'opère que quelques heures, dès le lendemain il faut recommencer, trouver un nouveau corps jeune, et le surlendemain idem, libidineux Sisyphes que nous sommes.
Mais le plus triste, le plus violent, le plus dégueulasse, c'est la façon dont sont traités ces "vieux" de plus de 30 ans. Soit on ne leur répond pas, soit on les bloque carrément, comme s'ils n'avaient pas lieu d'être, comme s'ils n'étaient même pas dignes d'une réponse, même négative. Ceux qui font ça, et ils sont nombreux, croyez-moi, savent-ils que la roue du temps tourne aussi pour eux ? Soit ils l'ignorent, ou veulent l'ignorer, soit ils sont inconscients et ils "profitent", ils "kiffent" dans un présent qu'ils s'imaginent éternel. 
 
J'en arrive parfois à regretter de n'être pas hétérosexuel, j'ai l'impression que les femmes en général sont beaucoup plus douces, en tout cas elles me semblent exemptes de cette violence-là. Attention, je ne fais pas des "hétéros" un continent merveilleux, la violence avec laquelle sont traitées les femmes de plus de 50 ans, frappées d'invisibilité, considérées comme périmées (cf "Celle que vous croyez" de Camille Laurens) est tout aussi scandaleuse. 
 
Tout change, en ces temps numériques, le monde change, mais le rapport à la mort régresse. Et nous perdons l'immortalité parce que nous réduisons la jeunesse à une image d'Epinal, infantile, caricaturale. Nous nous fixons sur cette idée primaire, rudimentaire, qui est celle de retenir le corps tout entier dans ses premières années. Je peux comprendre cela. Je ne suis pas insensible à la beauté de certains jeunes, mais loin de moi cette violence à l'égard des moins jeunes, ces toujours jeunes sur lesquels du temps a passé. Et vous savez quoi ? Souvent, ce temps-là justement, qui passe sur eux, les rend plus beaux. 
 
Alors oui, il y a la geôle du corps soumis au temps destructeur qui passe et n'en finit pas de passer, mais il y a aussi l'élan de la liberté, la rédemption par le rêve, la conscience qui s'affine, la création, et enfin, gros mot sur ces applis et autres sites dont je parle, l'amour.
 

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