terça-feira, 29 de março de 2016

RECORDANDO ALBERT COSSERY

Partilhado de Joëlle Losfeld, hoje no Facebook

Artigo de "Influences" , 16 de Maio de 2009:

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Albert Cossery

samedi 16 mai 2009, par Laurence Ubrich

« Je n’ai jamais été l’esclave de rien ni de personne. C’est la possession qui vous rend esclave. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours vécu à l’hôtel,
où même les meubles ne m’appartiennent pas. Et je me suis tenu à l’écart de ceux qui ont quelque chose à perdre, les puissants et ceux qui se mettent à leur service. » [1]
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Portrait dessiné : Darius

Le dénuement comme art de vivre, la frugalité comme garde-fou contre la médiocrité. Albert Cossery l’éternel dandy, promenait depuis plus de soixante ans son élégante silhouette sur les trottoirs de Saint-Germain-des-Prés. Il y avait posé ses valises à l’hôtel Louisiane, rue de Seine, ainsi qu’au Café de Flore ou aux Deux Magots. Jusqu’à son dernier souffle, l’écrivain nonagénaire a suivi jour après jour le circuit de sa jeunesse bohème, jadis accompagnée de Jean Genet, Albert Camus, Juliette Gréco ou Boris Vian. Le dernier zazou s’est éteint à 94 ans, sans avoir fait la moindre concession à la société de consommation ou à ses contingences triviales…

« En 1945, Saint-Germain-des-Prés n’avait rien à voir avec ce que c’est devenu. Au Flore, on ne voyait pas des mères avec leur poussette ! Pendant quinze ans, j’ai vu arriver ici les peintres et les écrivains du monde entier. C’était un quartier où on s’amusait, où on pouvait trouver de quoi boire, manger, fumer, faire la fête toute la nuit. »

Mais si Albert Cossery semble regretter cet âge d’or, il n’a jamais voulu déménager vers d’autres horizons. Même malade, même affaibli, cet oiseau de nuit à la voix cassée par un cancer de la gorge a continué à déambuler dans cette réserve chic et intello. Tranquillement, sur un air de jazz, le costume impeccable et la mine éternellement narquoise. Le plus français des esthètes égyptiens aimait à observer le ballet des passants et le long fleuve tranquille d’un Paris quasi disparu. Un mode contemplatif qui lui a inspiré chacun de ses huit ouvrages.

En dépit d’un exil volontaire de plus d’un demi-siècle, l’ensemble de son œuvre se déroule pourtant en Orient, sur sa terre natale, décrivant avec acuité et tendresse les « petites gens » du Caire. Des misérables magnifiques, gouailleurs et paresseux. Des marginaux fantasques, malmenés par les nantis. Albert Cossery les a tant persiflés, ces riches notables, qu’il a été surnommé le « Voltaire du Nil ». Né en 1913 dans le quartier de Fegallah de la capitale égyptienne – d’un père rentier et d’une mère illettrée – il a été éduqué dans des écoles chrétiennes et francophones, à l’instar de tous les enfants issus de la bourgeoisie à l’époque. Dès 1936, ses premières nouvelles paraissent en français dans les revues cairotes. Elles seront ensuite réunies en un volume, intitulé Les Hommes oubliés de Dieu et publié en 1940, grâce à Henry Miller rencontré lors d’un voyage aux États-Unis. Les principaux thèmes de Cossery sont déjà là : le sommeil, la critique de l’appareil répressif, la consommation de hasch et la dérision. Le jeune homme participe également au groupe « Art et liberté », fondé sous l’impulsion du poète surréaliste Georges Henein et s’affichant radicalement contre la condamnation par le régime nazi de l’art moderne.

Après avoir été steward dans la marine marchande égyptienne pendant la seconde guerre mondiale, le jeune homme débarque à Paris. Il y publie en 1947 La Maison de la mort certaine, puis Les fainéants dans la vallée fertile, qui campe une famille dont la paresse est cultivée comme une plante rare.
« Le sommeil permet de penser d’une autre manière, en se situant hors du monde. Ne rien faire, c’est un travail intérieur. L’oisiveté est indispensable à la réflexion. Et je suis toujours beaucoup sorti de ma chambre : pour moi, c’est essentiel de pouvoir se lever et d’aller dans la rue pour observer le spectacle du monde. » [2]

Selon la légende, Albert Cossery n’écrivait que deux phrases par semaine. Soit un ouvrage tous les dix ans. Mendiants et orgueilleux (1955) raconte la vie de Gohar, un professeur de philosophie devenu mendiant parce que « enseigner la vie sans la vivre était le crime de l’ignorance le plus détestable ». Il tient les comptes d’un bordel et rédige la correspondance des prostituées. Fortement dépendant au haschich, ce personnage devient un assassin. À propos de la pauvreté, l’écrivain expliquait quelques années avant sa mort :

« En Occident, les gens peuvent mourir de faim et de froid. Pas en Orient : tout le monde donne quelque chose à ceux qui sont dans la rue, une piécette, un peu à manger. Et même les plus pauvres restent joyeux. Avec seize millions d’habitants, Le Caire reste une ville formidable parce que les gens rigolent. Chaque jour, quelqu’un invente une histoire drôle sur le gouvernement, sur les difficultés de l’existence. Lorsqu’on a découvert l’imposture dans laquelle vit le monde, la seule révolte possible c’est la dérision. On ne peut pas écouter un ministre sans rire et rien de ce qu’il peut dire ne m’intéresse ! »

Dans la même veine, La Violence et la dérision (1964) met en scène un tyran et des contestataires particulièrement irrévérencieux dans une petite ville du Proche-Orient. Victime d’un attentat, le gouverneur devient martyr, un « exemple glorieux de civisme et de sacrifice pour les générations futures, perpétuant ainsi l’éternelle imposture ». Une décennie plus tard paraît Un complot de saltimbanques. C’est l’histoire du chef de la police d’une commune modeste, qui croit en l’existence d’un complot. En réalité, les pseudos intrigants ne pensent qu’à s’amuser et non pas à changer un monde qui les indiffère. Vient ensuite Une ambition dans le désert (1984) dont l’action se déroule dans un émirat imaginaire du golfe Persique. L’absence de pétrole lui permet de vivre en paix, alors que dans les pays voisins, le désert et le mode de vie traditionnel ont disparu. Enfin Les Couleurs de l’infamie sort en 1999. Ce roman est très désenchanté. Il s’ouvre sur le constat de la décadence et de l’anarchie qui règnent dans les rues du Caire. Pour Cossery, seul l’humour permet de survivre dans la dignité. Les deux personnages principaux dénoncent en riant « la face ignoble et grotesque des puissants de ce monde ».

Au début des années 1980, ses ouvrages étaient devenus quasiment introuvables. Jusqu’à ce que Joëlle Losfeld devienne son éditrice et fasse redécouvrir cet écrivain rare. Elle l’avait rencontré il y a une vingtaine d’années, alors qu’elle travaillait pour le magazine Jeune Afrique et réalisait des portraits d’écrivains égyptiens vivant à Paris. Devenus très amis, Albert Cossery en a fait son exécutrice testamentaire. Grâce à cette éditrice indépendante, ses œuvres complètes, en deux tomes, ont été publiées en 2005, ainsi que L’Égypte de Cossery, un livre de photographies réalisées par Sophie Leys. On lui doit également la réédition de Conversation avec Albert Cossery, une série d’entretiens menés par le cinéaste Michel Mitrani.

Finalement assez mal connu du grand public, peu prolixe et plutôt discret, Albert Cossery a tout de même bénéficié – sur le tard – de la reconnaissance du milieu littéraire. Il a ainsi été lauréat du prix de la Francophonie de l’Académie française en 1990, du grand prix Audiberti pour l’ensemble de ses livres en 1995, du prix Méditerranée en 2000 et du prix Poncetton de la Société des gens de lettres en 2005. Aujourd’hui, le dandy de Saint-Germain repose un peu plus loin, au cimetière du Montparnasse, non loin du philosophe Emil Cioran…

[1Interview parue dans Le Magazine littéraire, novembre 2005.
[2Idem.

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