"E agora, que vai ser de nós sem bárbaros?
Essa gente, mesmo assim, era uma solução." C.P. Cavafy
segunda-feira, 11 de janeiro de 2016
A FRUSTRAÇÃO DE UM DESEJO DE OCIDENTE
Alain Badiou
Transcrevemos a entrevista concedida hoje pelo filósofo Alain Badiou ao jornal "Libération":
Alain Badiou : «La frustration d’un désir d’Occident ouvre un espace à l’instinct de mort»
Le philosophe publie un
ouvrage sur la tuerie du 13 Novembre, dont il impute la responsabilité à
l’impossibilité de proposer une alternative au monde tel qu’il est. Il
pointe notamment l’effondrement des idées progressistes, victimes d’une
crise profonde de la pensée depuis l’échec du communisme.
Alain Badiou : «La frustration d’un désir d’Occident ouvre un espace à l’instinct de mort»
Comment comprendre l’énigmatique pulsion de mort qui
anime les jihadistes ? Des tueries de janvier à celles de novembre,
chacun cherche les causes, sociales ou religieuses, de cette
«radicalisation» qui, ici et ailleurs, cède à une violence inouïe. Pour
le philosophe Alain Badiou, les attentats sont des meurtres de masse
symptomatiques de notre époque, où règne sans limite le capitalisme
mondialisé. Dans son dernier ouvrage, Notre mal vient de plus loin :
penser la tuerie du 13 Novembre, qui sort le 11 janvier chez Fayard, il
rappelle la nécessité d’offrir à la jeunesse mondiale, frustrée par un
capitalisme qui ne tient pas ses promesses, une alternative idéologique.
Quelles différences voyez-vous entre les attentats de janvier et ceux de novembre ?
Dans les deux cas, on a le même contexte historique et géopolitique,
la même provenance des tueurs, le même acharnement meurtrier et
suicidaire, la même réponse, policière, nationaliste et vengeresse, de
la part de l’Etat. Cependant, tant du côté du meurtre de masse que du
côté de la réponse étatique, il y a des différences importantes.
D’abord, en janvier, les meurtres sont ciblés, les victimes choisies :
les blasphémateurs de Charlie Hebdo, les juifs et les policiers. Le
caractère idéologique, religieux et antisémite des meurtres est évident.
D’autre part, la réponse prend la forme d’un vaste déploiement de
masse, voulant symboliser l’unité de la nation derrière son gouvernement
et ses alliés internationaux autour d’un mot d’ordre lui-même
idéologique, à savoir «nous sommes tous Charlie». On se réclame d’un
point précis : la liberté laïque, le droit au blasphème. En novembre, le meurtre est indistinct, très évidemment nihiliste :
on tire dans le tas. Et la réponse n’inclut pas de déploiement
populaire, son mot d’ordre est cocardier et brutal : «guerre aux
barbares». L’idéologie est réduite à sa portion congrue et abstraite, du
genre «nos valeurs». Le réel, c’est le durcissement extrême de la
mobilisation policière, avec un arsenal de lois et de décrets scélérats
et liberticides, totalement inutiles, et visant rien de moins qu’à
rendre éternel l’Etat d’urgence. De là résulte qu’une intervention
rationnelle et détaillée est encore plus urgente et nécessaire. Il faut
convaincre l’opinion qu’elle ne doit se retrouver, ni bien entendu dans
la férocité nihiliste des assassins mais ni non plus dans les coups de
clairons policiers de l’Etat.
Vous analysez le 13 Novembre comme un «mal» dont la
cause serait l’échec historique du communisme. Pourquoi ? C’est une
grille de lecture qui paraît nostalgique et dépassée…
J’ai essayé de proposer un protocole d’explication aussi clair que
possible, en partant des structures de notre monde : l’affaiblissement
des Etats face à l’oligarchie privée, le désir d’Occident, et
l’expansion du capitalisme mondialisé, face auquel aucune alternative
n’est proposée aujourd’hui. Je n’ai aucune nostalgie passéiste. Je n’ai
jamais été communiste, au sens électoral du mot. J’appelle «communisme»
la possibilité de proposer à la jeunesse planétaire autre chose que le
mauvais choix entre une inclusion résignée dans le dispositif
consommateur existant et des échappées nihilistes sauvages. Il ne s’agit
pas de ma part d’un entêtement, ni même d’une tradition. J’affirme
seulement que tant qu’il n’y aura pas un cadre stratégique quelconque,
un dispositif politique permettant notamment à la jeunesse de penser
qu’autre chose est possible que le monde tel qu’il est, nous aurons des
symptômes pathologiques tels que le 13 Novembre.
Donner toute la responsabilité à l’emprise
tentaculaire du capitalisme mondialisé, n’est-ce pas ignorer la
responsabilité de la pensée, des intellectuels qui voulaient précisément
promouvoir un autre modèle ?
A partir des années 80, un certain nombre d’intellectuels, qui
sortaient déçus et amers, faute d’un succès immédiat, du gauchisme des
années 60 et 70, se sont ralliés à l’ordre établi. Pour s’installer dans
le monde, ils sont devenus des chantres de la sérénité occidentale.
Evidemment, leur responsabilité est flagrante. Mais il faut aussi tenir
compte du retard pris du côté d’une critique radicale de l’expansion
capitaliste et des propositions alternatives qui doivent renouveler et
renforcer l’hypothèse communiste. Cette faiblesse est venue de
l’amplitude de la catastrophe. Il y a eu une sorte d’effondrement, non
seulement des Etats socialistes, qui étaient depuis longtemps critiqués,
mais aussi de la domination des idées progressistes et révolutionnaires
dans l’intelligentsia, singulièrement en France depuis l’après-guerre.
Cet effondrement indiquait une crise profonde, laquelle exigeait un
renouvellement conceptuel et idéologique, notamment philosophique. Avec
d’autres, je me suis engagé dans cette tâche, mais nous sommes encore
loin du compte. Lénine disait des intellectuels qu’ils étaient la plaque
sensible de l’histoire. L’histoire, entre le début des années 70 et le
milieu des années 80, nous a imposé un renversement idéologique d’une
violence extraordinaire, un triomphe presque sans précédent des idées
réactionnaires de toutes sortes.
Dans le monde que vous décrivez, il y a
l’affaiblissement des Etats. Pourquoi ne pourraient-ils pas être des
acteurs de régulation face au capitalisme mondialisé ?
Nous constatons que les Etats, qui avaient déjà été qualifiés par
Marx de fondés de pouvoir du capital, le sont aujourd’hui à une échelle
que Marx lui-même n’avait pas prévue. L’imbrication des Etats dans le
système hégémonique du capitalisme mondialisé est extrêmement puissante.
Depuis des décennies, quels que soient les partis au pouvoir, quelles
que soient les annonces du type «mon adversaire, c’est la finance», la
même politique se poursuit. Et je pense qu’on a tort d’en accuser des
individus particuliers. Il est plus rationnel de penser qu’il y a un
enchaînement systémique extrêmement fort, un degré saisissant de
détermination de la fonction étatique par l’oligarchie capitaliste. La
récente affaire grecque en est un exemple frappant. On avait là un pays
où il y avait eu des mouvements de masse, un renouvellement politique,
où se créait une nouvelle organisation de gauche. Pourtant, quand Syriza
est arrivé au pouvoir, cela n’a constitué aucune force capable de
résister aux impératifs financiers, aux exigences des créanciers.
Comment expliquer ce décalage entre la volonté de changement et sa non-possibilité ?
Il y a eu une victoire objective des forces capitalistes
hégémoniques, mais également une grande victoire subjective de la
réaction sous toutes ses formes, qui a pratiquement fait disparaître
l’idée qu’une autre organisation du monde économique et social était
possible, à l’échelle de l’humanité tout entière. Les gens qui
souhaitent «le changement» sont nombreux, mais je ne suis pas sûr
qu’eux-mêmes soient convaincus, dans l’ordre de la pensée et de l’action
réelles, qu’autre chose est possible. Nous devons encore ressusciter
cette possibilité.
Jürgen Habermas parle de l’économie comme la
théologie de notre temps. On a l’impression que cet appareil systémique
est théologique. Mais comment expliquez-vous ce qui s’est passé en
France ?
Je voudrais rappeler que la France n’a pas le monopole des attentats.
Ces phénomènes ont à voir avec le cadre général dans lequel vivent les
gens aujourd’hui, puisqu’ils se produisent un peu partout dans des
conditions différentes. J’étais à Los Angeles quand a eu lieu en
Californie, après l’événement français, un terrible meurtre de masse.
Cela dit, au-delà des analyses objectives, il faut entrer dans la
subjectivité des meurtriers, autant que faire se peut. Il y a à
l’évidence chez ces jeunes assassins les effets d’un désir d’Occident
opprimé ou impossible. Cette passion fondamentale, on la trouve un peu
partout, et c’est la clé des choses : étant donné qu’un autre monde
n’est pas possible, alors pourquoi n’avons-nous pas de place dans
celui-ci ? Si on se représente qu’aucun autre monde n’est possible, il
est intolérable de ne pas avoir de place dans celui-ci, une place
conforme aux critères de ce monde : argent, confort, consommation… Cette
frustration ouvre un espace à l’instinct de mort : la place qu’on
désire est aussi celle qu’on va haïr puisqu’on ne peut pas l’avoir.
C’est un ressort subjectif classique.
Au-delà du «désir d’Occident», la France semble marquée par son passé colonial…
Il y a en effet un inconscient colonial qui n’est pas liquidé. Le
rapport au monde arabe a été structuré par une longue séquence
d’administration directe et prolongée de tout le Maghreb. Comme cet
inconscient n’est pas reconnu, mis au jour, il introduit des ambiguïtés,
y compris dans l’opinion dite «de gauche». Il ne faut pas oublier que
c’est un gouvernement socialiste qui, en 1956, a relancé la guerre
d’Algérie, et un Premier ministre socialiste qui, au milieu des années
80, a dit, à propos de la population en provenance d’Afrique, que «Le
Pen pos[ait] les vraies questions». Il y a une corruption historique de
la gauche par le colonialisme qui est aussi importante que masquée. En
outre, entre les années 50 et les années 80, le capital a eu un
impérieux besoin de prolétaires venus en masse de l’Afrique
ex-coloniale. Mais avec la désindustrialisation forcenée engagée dès la
fin des années 70, le même capital ne propose rien ni aux vieux ouvriers
ni à leurs enfants et petits-enfants, tout en menant de bruyantes
campagnes contre leur existence dans notre pays. Tout cela est
désastreux, et a aussi produit cette spécificité française dont nous
nous passerions volontiers : l’intellectuel islamophobe.
Dans votre analyse, vous évacuez la question de la religion et de l’islam en particulier…
C’est une question de méthode. Si l’on considère que la religion est
le point de départ de l’analyse, on ne s’en sort pas, on est pris dans
le schéma aussi creux que réactionnaire de «la guerre des
civilisations». Je propose des catégories politiques neutres, de portée
universelle, qui peuvent s’appliquer à des situations différentes. La
possible fascisation d’une partie de la jeunesse, qui se donne à la fois
dans la gloriole absurde de l’assassinat pour des motifs «idéologiques»
et dans le nihilisme suicidaire, se colore et se formalise dans l’islam
à un moment donné, je ne le nie pas. Mais la religion comme telle ne
produit pas ces comportements. Même s’ils ne sont que trop nombreux, ce
ne sont jamais que de très rares exceptions, en particulier dans l’islam
français qui est massivement conservateur. Il faut en venir à la
question religieuse, à l’islam, uniquement quand on sait que les
conditions subjectives de cette islamisation ultime ont été d’abord
constituées dans la subjectivité des assassins. C’est pourquoi je
propose de dire que c’est la fascisation qui islamise, et non
l’islamisation qui fascise. Et contre la fascisation, ce qui fera force
est une proposition communiste neuve, à laquelle puisse se rallier la
jeunesse populaire, quelle que soit sa provenance.•
1 comentário:
Abraham Chevrollet
disse...
A História não para,a História jamais acabará,hélas,enquanto houver humanidade. E os caminhos do futuro serão encontrados, talvez não com a rapidez imperiosa que queremos.Fica-nos a calma,o bom senso,a lucidez. Será que bastam? Talvez não,mas são necessários e solvem parte do problema.
1 comentário:
A História não para,a História jamais acabará,hélas,enquanto houver humanidade. E os caminhos do futuro serão encontrados, talvez não com a rapidez imperiosa que queremos.Fica-nos a calma,o bom senso,a lucidez. Será que bastam? Talvez não,mas são necessários e solvem parte do problema.
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