Pela sua importância, transcrevemos o artigo que o eminente historiador e arabista e professor do Collège de France, Henry Laurens, escreveu no nº 102, de Dezembro corrente, no Suplemento Literário do jornal "L'Orient - Le Jour", a propósito do recente livro La loi du sang: Penser et agir en nazi, do historiador e professor da Sorbonne, Johann Chapoutot:
Penser comme un nazi
Comment s'explique la radicalisation qu’engendrent la guerre,
l’extermination des juifs et la mise en esclavage des peuples slaves ?
Johann Chapoutot entame une utile déconstruction de l'univers mental du
nazisme.
Johann Chapoutot est un historien reconnu du nazisme. Il nous livre ici
une effrayante description de l’univers mental du nazisme et des
terribles conséquences qui en découlent. Le point essentiel est de
prendre au sérieux le nazisme comme idéologie et à partir de là de sa
capacité de transformer les paroles en actes. Il en résulte que le
nazisme n’est pas seulement le produit de littérateurs de troisième
catégorie mais qu’il a aussi enrégimenter une bonne partie des
professions académiques, en particulier les juristes qui ont construit
un droit à partir de ce qui pourrait apparaître comme la négation du
droit. La dangerosité du nazisme réside dans la production de normes
immédiatement appliquées.
Bien sûr cette vision du monde n’est pas apparue du néant. Elle se
présente comme une radicalisation effective d’un certain nombre de
courants de pensée hérités du XIXe siècle qui pouvaient être considérés
éventuellement comme des excentricités ou en tout cas des opinions. Il
en est ainsi de l’apologie des identités ethniques de plus en plus
définies en termes raciaux, du rejet de la tradition judéo-chrétienne
(ce sont les adversaires du christianisme qui ont inventé ce terme tout à
fait discutable par ailleurs), de la définition de la lutte pour la vie
dans la perspective sociale darwinienne comme moteur de l’histoire, de
l’application du colonialisme et de l’eugénisme, etc. Bien sûr, on doit
aussi comprendre la culture de guerre engendrée par la Grande Guerre
comme facteur aggravant.
On doit bien admettre que le nazisme est une révolution culturelle qui
conduit à considérer des abominations comme des actes légaux d’où le
fait que les accusés des procès d’après-guerre comme ceux de Nuremberg
ou celui d’Eichmann se considèrent comme non-coupables parce qu’ils sont
convaincus d’avoir bien agi.
Le nazisme part en quelque sorte d’un temps immédiatement antérieur à
l’histoire où la race germanique ou nordique constituait un tout
biologique où le sentiment religieux foncièrement animiste perçoit et
révère le divin partout où se manifeste la vie. Cet immanentisme a été
ruiné par la transcendance du judéo-christianisme qui accouche d’un
matérialisme froid et brutal. Le nazisme est un naturalisme qui rejette
toute place privilégiée à l’individu (d’où le rejet du libéralisme) au
profit de la substance biologique qui est la race. La séparation du
corps et de l’esprit est une absurdité de même que toutes les
abstractions charriées par le judéo-christianisme.
La race germanique est la seule morale et ce qui est fait pour son bien
est bien. L’anti-naturalisme du judéo-christianisme doit être extirpé
pour que l’on puisse retrouver la pureté originelle du divin identifié à
la nature. L’universalisme est l’ennemi parce qu’il est contre la
nature. La prise du pouvoir en 1933 est une véritable révolution qui
vise à rétablir la nature dans ses droits. On rejette les dix
commandements et la devise républicaine française.
Il en est ainsi du droit : « Si la seule humanité qui soit et qui vaille
est l’humanité nordique, tout ce qui contribue à l’améliorer et à la
protéger peut revendiquer cette qualité. L’inhumain ou immoral n’est pas
ce que l’on croit : est immoral le contraire d’une action virile et
résolue, le laxisme reproductif, la négligence anti-eugénique qui
méconnaît et viole les lois de la nature. »
Ce qui est moral c’est ce qui bénéficie à la préservation raciale du
peuple allemand. On stérilise puis on élimine les handicapés mentaux et
avec les lois de Nuremberg on préserve la pureté de la race. Or il n’y a
pas de séparation entre nature et culture, les deux domaines sont régis
par la lutte pour la vie donc par la nécessité d’éliminer les ennemis
parce qu’ils constituent des dangers mortels. Le droit pénal est un
instrument de la guerre pour sauver la race.
On en arrive ainsi avec la radicalisation qu’engendre la guerre à
l’extermination des juifs et à la mise en esclavage des peuples slaves.
Le but ultime est la suppression du christianisme au moins dans le
peuple germanique et à la constitution d’un « espace vital » où le mot
vital est une référence vraiment biologique. On peut ainsi tuer
froidement, professionnellement des femmes et des enfants avec la
conscience du devoir accompli.
Les textes nazis montrent bien que ces programmes se sont heurtés à de
multiples résistances venues des anciens temps : il faut attendre que se
lèvent les blés nouveaux des générations qui n’auront connu que le
national-socialisme et ses enseignements. Ces générations seront
composées d’hommes non pas nouveaux, mais régénérés, retrempés dans
l’êthos de leur sang, familiarisés dès leur plus jeune âge, avec les
valeurs de leur race. De plus, l’intention éradicatrice et
exterminatrice du nazisme n’a pu se concrétiser que dans le contexte de
radicalisation accélérée qui suit la guerre mondiale (après tout, avant
1939 le nazisme n’a tué que quelques milliers d’individus, rien à voir
avec les millions de victimes du stalinisme déjà enregistrées à cette
époque). Quant à Hitler, il s’est montré logique avec lui-même en
considérant que la défaite de l’Allemagne est celle d’un peuple plus
faible que celui de l’Est à qui appartient l’avenir.
Ce livre, qu’il faut lire, doit inspirer aux lecteurs de sombres
réflexions sur la relation entre les idées et les normes qu’elles
produisent, aux dangers que peut véhiculer des pensées purement
naturalistes et biologiques. Après tout, beaucoup de nazis dont Hitler
lui-même étaient végétariens et rejetaient les violences faites aux
animaux… Mais il est vrai aussi que pour eux les chiens étaient plutôt
aryens et les chats orientaux, voire juifs…
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