terça-feira, 16 de dezembro de 2014

PENSAR COMO UM NAZI




Pela sua importância, transcrevemos o artigo que o eminente historiador e arabista e professor do Collège de France, Henry Laurens, escreveu no nº 102, de Dezembro corrente, no Suplemento Literário do jornal "L'Orient - Le Jour", a propósito do recente livro La loi du sang: Penser et agir en nazi, do historiador e professor da Sorbonne, Johann Chapoutot:


Penser comme un nazi
 
 
Comment s'explique la radicalisation qu’engendrent la guerre, l’extermination des juifs et la mise en esclavage des peuples slaves ? Johann Chapoutot entame une utile déconstruction de l'univers mental du nazisme.

 
Johann Chapoutot est un historien reconnu du nazisme. Il nous livre ici une effrayante description de l’univers mental du nazisme et des terribles conséquences qui en découlent. Le point essentiel est de prendre au sérieux le nazisme comme idéologie et à partir de là de sa capacité de transformer les paroles en actes. Il en résulte que le nazisme n’est pas seulement le produit de littérateurs de troisième catégorie mais qu’il a aussi enrégimenter une bonne partie des professions académiques, en particulier les juristes qui ont construit un droit à partir de ce qui pourrait apparaître comme la négation du droit. La dangerosité du nazisme réside dans la production de normes immédiatement appliquées.

Bien sûr cette vision du monde n’est pas apparue du néant. Elle se présente comme une radicalisation effective d’un certain nombre de courants de pensée hérités du XIXe siècle qui pouvaient être considérés éventuellement comme des excentricités ou en tout cas des opinions. Il en est ainsi de l’apologie des identités ethniques de plus en plus définies en termes raciaux, du rejet de la tradition judéo-chrétienne (ce sont les adversaires du christianisme qui ont inventé ce terme tout à fait discutable par ailleurs), de la définition de la lutte pour la vie dans la perspective sociale darwinienne comme moteur de l’histoire, de l’application du colonialisme et de l’eugénisme, etc. Bien sûr, on doit aussi comprendre la culture de guerre engendrée par la Grande Guerre comme facteur aggravant.

On doit bien admettre que le nazisme est une révolution culturelle qui conduit à considérer des abominations comme des actes légaux d’où le fait que les accusés des procès d’après-guerre comme ceux de Nuremberg ou celui d’Eichmann se considèrent comme non-coupables parce qu’ils sont convaincus d’avoir bien agi.

Le nazisme part en quelque sorte d’un temps immédiatement antérieur à l’histoire où la race germanique ou nordique constituait un tout biologique où le sentiment religieux foncièrement animiste perçoit et révère le divin partout où se manifeste la vie. Cet immanentisme a été ruiné par la transcendance du judéo-christianisme qui accouche d’un matérialisme froid et brutal. Le nazisme est un naturalisme qui rejette toute place privilégiée à l’individu (d’où le rejet du libéralisme) au profit de la substance biologique qui est la race. La séparation du corps et de l’esprit est une absurdité de même que toutes les abstractions charriées par le judéo-christianisme.

La race germanique est la seule morale et ce qui est fait pour son bien est bien. L’anti-naturalisme du judéo-christianisme doit être extirpé pour que l’on puisse retrouver la pureté originelle du divin identifié à la nature. L’universalisme est l’ennemi parce qu’il est contre la nature. La prise du pouvoir en 1933 est une véritable révolution qui vise à rétablir la nature dans ses droits. On rejette les dix commandements et la devise républicaine française.

Il en est ainsi du droit : « Si la seule humanité qui soit et qui vaille est l’humanité nordique, tout ce qui contribue à l’améliorer et à la protéger peut revendiquer cette qualité. L’inhumain ou immoral n’est pas ce que l’on croit : est immoral le contraire d’une action virile et résolue, le laxisme reproductif, la négligence anti-eugénique qui méconnaît et viole les lois de la nature. »

Ce qui est moral c’est ce qui bénéficie à la préservation raciale du peuple allemand. On stérilise puis on élimine les handicapés mentaux et avec les lois de Nuremberg on préserve la pureté de la race. Or il n’y a pas de séparation entre nature et culture, les deux domaines sont régis par la lutte pour la vie donc par la nécessité d’éliminer les ennemis parce qu’ils constituent des dangers mortels. Le droit pénal est un instrument de la guerre pour sauver la race.

On en arrive ainsi avec la radicalisation qu’engendre la guerre à l’extermination des juifs et à la mise en esclavage des peuples slaves. Le but ultime est la suppression du christianisme au moins dans le peuple germanique et à la constitution d’un « espace vital » où le mot vital est une référence vraiment biologique. On peut ainsi tuer froidement, professionnellement des femmes et des enfants avec la conscience du devoir accompli.

Les textes nazis montrent bien que ces programmes se sont heurtés à de multiples résistances venues des anciens temps : il faut attendre que se lèvent les blés nouveaux des générations qui n’auront connu que le national-socialisme et ses enseignements. Ces générations seront composées d’hommes non pas nouveaux, mais régénérés, retrempés dans l’êthos de leur sang, familiarisés dès leur plus jeune âge, avec les valeurs de leur race. De plus, l’intention éradicatrice et exterminatrice du nazisme n’a pu se concrétiser que dans le contexte de radicalisation accélérée qui suit la guerre mondiale (après tout, avant 1939 le nazisme n’a tué que quelques milliers d’individus, rien à voir avec les millions de victimes du stalinisme déjà enregistrées à cette époque). Quant à Hitler, il s’est montré logique avec lui-même en considérant que la défaite de l’Allemagne est celle d’un peuple plus faible que celui de l’Est à qui appartient l’avenir.

Ce livre, qu’il faut lire, doit inspirer aux lecteurs de sombres réflexions sur la relation entre les idées et les normes qu’elles produisent, aux dangers que peut véhiculer des pensées purement naturalistes et biologiques. Après tout, beaucoup de nazis dont Hitler lui-même étaient végétariens et rejetaient les violences faites aux animaux… Mais il est vrai aussi que pour eux les chiens étaient plutôt aryens et les chats orientaux, voire juifs…

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