A propósito da trajectória política de Recep Tayyip Erdoğan, já várias vezes evocada neste blogue, transcrevo, pelo seu interesse, o artigo de Chantal Verdeil, publicado no site OrientXXI, acerca do livro Erdoğan, nouveau Père de la Turquie ?, de Nicolas Cheviron e Jean-François Pérouse:
Erdogan, « nouveau père de la Turquie » ?
Une irrésistible ascension
Il y a une fracture entre les héritiers d’Atatürk, « le père des Turcs » selon le surnom donné à Mustafa Kemal depuis 1934 et les partisans de Recep Tayyip Erdogan. Pourtant, les deux auteurs présentent ce dernier comme le « nouveau père de la Turquie », un qualificatif que ne renierait pas l’intéressé lui-même, qui inscrit son action dans la continuité de celle de son illustre prédécesseur. Mustapha Kemal avait œuvré pour que la Turquie accède à l’indépendance et à la modernité ; Erdogan lui aurait fait retrouver « son essence et son esprit », avec un régime de fer, conservateur sur le plan des mœurs (valorisation de la femme comme gardienne de la famille), bien plus libéral au plan économique, et affichant sans complexe ses convictions religieuses (restriction à la vente d’alcool, autorisation du port du voile dans la fonction publique et les universités, développement des écoles d’imams et de prédicateurs…). Dirigeant autoritaire d’une Turquie nouvelle que la longévité de son pouvoir a tout autant façonnée que révélée, telle est l’image qui se dégage de cette biographie solidement documentée et remarquablement équilibrée.
Pour présenter cette figure qui domine la vie politique turque depuis plus de vingt ans, les deux auteurs ont adopté un plan chronologique, évoquant successivement la « formation », l’« ascension », la « métamorphose », la « consolidation » puis enfin le « vertige » : parvenu au sommet du pouvoir, Recep Tayyip Erdogan dirige une Turquie au bord du gouffre, gagnée par la violence terroriste, entretenue par ses dissensions internes entre partisans et opposants du Parti de la justice et du développemente (AKP), entre Kurdes et Turcs… et le conflit syrien. Depuis une dizaine d’années, il s’est engagé dans un de bras de fer contre tous ceux qui pourraient contester son pouvoir : procès qui permettent d’épurer la magistrature ou l’armée, répression des manifestations comme le mouvement de Gezi, intimidation des journalistes et censure d’organes de presse. L’épuration, qui touche les différents corps de la fonction publique turque prolonge — avec une tout autre ampleur il est vrai — une politique menée depuis des mois, voire des années. Elle est soutenue par une large partie de la population qui est descendue dans les rues à l’appel du président menacé, et qui vote massivement en sa faveur. Ce sont ces succès électoraux répétés qui ont permis à Erdogan et à ses partisans d’occuper les différents rouages du pouvoir turc d’où ils peuvent désormais mener la répression.
L’expérience islamiste
Le livre s’intéresse d’abord aux premiers pas en politique de Recep Tayyip Erdogan au sein de l’Union nationale des étudiants turcs (MTTB). Cette vieille institution de la droite turque dont la création remonte à 1916, farouchement anticommuniste, se lie dans les années 1960 à la Ligue islamique mondiale et promeut alors le retour à des valeurs morales, religieuses et nationales. Dans les années 1970, elle forme bien des militants d’une « mouvance conservatrice en quête de revanche » sur le kémalisme, dont Recep Tayyip Erdogan.
Né en 1954, Erdogan est issu d’un milieu modeste. Son père, récemment immigré du Rize — une région de la mer Noire — à Istanbul travaille comme capitaine d’un bateau sur le Bosphore. Footballeur au sein de l’équipe de la Régie de l’électricité, des tramways et des funiculaires d’Istanbul, Recep Tayyip Erdogan fait ses premiers pas de militant au MTTB et y rencontre bon nombre de ses futurs compagnons de route, dont Abdullah Gül et Ahmet Davutoglu. Son ascension est inséparable de celle de l’islam politique en Turquie dont le « père », Necmettin Erbakan, fonde successivement le Parti de l’ordre national (MNP) en 1970, interdit après le coup d’État de septembre 1980 qui épargne relativement la mouvance religieuse, puis le Parti de la prospérité (Refah Partisi) en 1983. Ce dernier promeut un « ordre juste » (adil düzen), fondé sur la libre initiative et le soutien aux plus démunis dans un esprit paternaliste et charitable. Contre un capitalisme jugé « esclavagiste », il exalte l’être humain, la justice et le droit divin, celui qu’invoquent les « opprimés » au plan religieux par la laïcité kémaliste.
Si Recep Tayyip Erdogan ne fait pas partie des membres fondateurs du Parti de la prospérité, il y adhère et devient très vite un de ses cadres pour la région d’Istanbul. Les campagnes électorales qu’il y mène lui offrent l’occasion d’imprimer sa marque. Recep Tayyip Erdogan n’hésite pas à faire appel à des femmes militantes, voilées ou non, pour mieux conquérir les électeurs au-delà des cercles religieux conservateurs. En 1994, son activisme paie : il est élu à la mairie d’Istanbul, une ville qui accueille à l’époque 350 000 migrants chaque année, nécessitant la construction de 80 000 logements, 50 écoles primaires, 16 collèges, 6 lycées (selon un rapport publié par la mairie, cité p. 147).
Necmettin Erbakan est quant à lui nommé premier ministre en juillet 1996. Mais le 28 février 1997, le Conseil de la sécurité nationale met fin à l’expérience islamiste. Le Parti de la prospérité est contraint de céder aux exigences de l’armée et de la magistrature. Il est supprimé en 1998, et Recep Tayyip Erdogan, accusé d’avoir tenu des propos antikémalistes, envoyé en prison. Sa courte détention est l’occasion d’une « métamorphose ». Il rompt avec son « maître » Erbakan, et fonde le Parti de la justice et du développement (AKP), qui sera sa machine de guerre pour atteindre le sommet du pouvoir.
Une corruption généralisée
La classe politique est alors complètement discréditée : le séisme d’octobre 1999, qui a fait près de 20 000 morts a mis en lumière des vices de construction synonymes de corruption généralisée. L’instabilité politique a des conséquences dramatiques sur l’économie : dévaluation de la monnaie, forte inflation, rebond du chômage qui dépasse 10 % de la population active en 2002. Aux élections générales de novembre 2002, le nouveau parti rafle plus de 34 % des suffrages. Recep Tayyip Erdogan devient premier ministre de Turquie le 14 mars 2003, poste qu’il va mettre à profit pour consolider son pouvoir en réduisant l’opposition laïque héritière du kémalisme, en attaquant successivement ses différents bastions que sont l’armée et la haute magistrature.
Après quelques années d’ouverture démocratique (2003-2007) qui coïncident avec de nouvelles démarches en faveur de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, l’heure est à la « confrontation » (2007) à coup de grands procès ( Ergenekon)1, tandis que les victoires électorales de l’AKP lui permettent d’occuper tous les hauts postes de l’État. Recep Tayyip Erdogan acquiert une stature internationale, proche un moment de Silvio Berlusconi et de Vladimir Poutine, artisan avec Ahmet Davutoglu d’une politique « néo-ottomane » tournée vers l’Asie centrale et le Proche-Orient, héraut de la cause palestinienne dans le monde arabe après l’attaque de la flotille destinée à briser le blocus de Gaza en mai 2010.
Proche des milieux d’affaires dont plusieurs figures ont financé les études de ses enfants en Occident selon une pratique courante de la haute bourgeoisie turque, il met en scène son ascension lors des somptueuses cérémonies de mariage (plusieurs milliers d’invités) qui scellent des alliances avec cette même classe d’entrepreneurs.
D’autres transformations moins visibles sont pointées du doigt par les auteurs dans une conclusion remarquablement équilibrée. Les identités secondaires se manifestent davantage, l’Assemblée compte désormais trois députés d’origine arménienne et une chaîne publique en kurde a été lancée. Avec les Kurdes, Recep Tayyip Erdogan a oscillé entre l’ouverture au nom d’une commune appartenance à l’islam sunnite et la répression au nom d’un nationalisme étroit.
Le temps du raidissement
Le début des années 2010 est pourtant moins favorable à Recep Tayyip Erdogan : les révolutions arabes mettent à bas sa politique « néo-ottomane ». Il rompt avec Bachar Al-Assad, puis avec l’Égypte reprise en main par les militaires. Son régime est accusé de complaisance avec les djihadistes, et doit faire face à de nouvelles oppositions : celle de la confrérie de Fethullah Gülen dont il a longtemps été un allié et celle qui s’est cristallisée autour de la défense du parc de Gezi à Istanbul. La seconde est sévèrement réprimée, la première réduite par une épuration de corps d’État particulièrement « infiltrés » (magistrature, police) tandis que ses médias sont muselés. Ce raidissement est perceptible jusqu’à ces derniers mois, comme en témoignent les menaces qui planent sur le monde universitaire, les milliers d’arrestations et d’emprisonnement arbitraires d’opposants, et plus généralement l’effrayant recul des droits humains. La démocratisation espérée au début des années 2000 paraît bien loin.
En août 2014, Erdogan est élu président de la Turquie avec des pouvoirs très étendus. En juillet 2016, un coup d’État fait vaciller son pouvoir pendant quelques heures. L’énorme épuration en cours dans tous les corps de l’État ne devrait que le consolider et faire de lui le « père » d’une société profondément bouleversée.
NDLR. Les « procès Ergenekon » désignent un ensemble de seize procès monstres, débutés en 2008 contre un réseau composé de militaires et civils accusés de former un État parallèle. Le procès Balyoz, en 2010, concerne des militaires accusés de fomenter un coup d’État contre le gouvernement AKP. Les procès KCK se déroulent à l’encontre des journalistes, avocats et élus politiques du KCK accusés d’être le paravent civil du PKK.
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